Pour l’Europe, Obama n’est ni le problème ni la solution edit

23 janvier 2013

Il n’est pas aisé d’évaluer les conséquences que le second mandat d’Obama aura sur l’Europe. Ceci pour au moins une raison : depuis 2008, les États-Unis ne sont ni un problème pour l’Europe, ni non plus la solution. Et tout porte à penser que cette réalité se renforcera dans les prochaines années.

Les États-Unis et l’Europe constituent un ensemble économique interdépendant extrêmement puissant sur le plan de l’investissement, de la finance et du commerce. Les États-Unis constituent de très loin la meilleure destination pour les investisseurs européens. Et la réciproque est tout aussi vraie. Malgré la montée en puissance de la Chine, le bloc euro-atlantique reste extrêmement fort et n’a véritablement été altéré par la Chine que sur le plan commercial, tout simplement parce que celle-ci est de très loin le premier marché mondial.

Certes, il existe de nombreux obstacles réglementaires à l’harmonisation des deux ensembles économiques qui pourraient être réglés dans le cadre d’un traité de libre échange. Il existe également des divergences d’appréciation sur certains problèmes globaux comme le changement climatique ou la conclusion des négociations commerciales multilatérales. Mais ceux-ci n’entravent pas la dynamique qui lie les deux rives de l’Atlantique. On peut d’ailleurs raisonnablement penser qu’à mesure que la Chine apparaîtra comme le challenger stratégique des États-Unis, ces derniers trouveront avantage à s’appuyer sur l’Europe avec laquelle ils partagent quoi qu’on en dise des valeurs communes.

Le blocage sino-russe au Conseil de sécurité sur la Syrie souligne à  cet égard l’indéniable convergence de vues entre les Américains et les Européens dès lors que les États-Unis ne cherchent pas systématiquement à imposer leur propre point de vue. La crise iranienne est également révélatrice du lien euro-américain même si certains Européens comme la France craignent toujours que les États-Unis finissent par trouver un arrangement direct avec les Iraniens au dessus de leur tête. Il faut d’ailleurs dire que, tant au G20 qu’au Conseil de sécurité, l’administration Obama s’est efforcée  de ne pas apparaître comme le seul meneur du jeu. Même accidentel et fortuit le « leading from behind » en Libye a notamment permis à un pays comme la France de s’intégrer à l’OTAN sans pour autant perdre son autonomie de jugement. L’idée selon laquelle les États-Unis se désintéresseraient de l’Europe ou s’en désengageraient est largement exagérée. Car tant qu’ils resteront une puissance globale ils ne pourront pas se désengager d’une région aussi importante quoiqu’on en dise.

Pourtant, si les États-Unis ne sont pas forcément un problème pour l’Europe, ils sont moins que jamais la solution à ses problèmes. Et c’est peut-être cela le fait nouveau. À cela il y a deux explications.

La première est que fondamentalement les États-Unis n’ont plus les moyens économiques de participer au sauvetage de l’euro alors même que l’aggravation de la crise les gênerait de manière considérable. La crise de l’euro est la première crise financière mondiale que les États-Unis ne sont plus en mesure de régler en prenant la direction des opérations. C’est une des expressions majeures de l’avènement d’un monde multipolaire. Les Américains peuvent certes exhorter les Européens à agir, ouvrir des lignes de swap à travers la Réserve Fédérale, réduire l’exposition de leurs banques en Europe. Mais ils ne peuvent guère aller au-delà. Ils se sont même refusé à accroître les ressources du FMI, sous la pression d’un Congrès décidé à prévenir tout bail out européen par le contribuable américain.

Dans ces conditions on comprendra que l’Allemagne ait résisté aux États-Unis qui n’adhèrent pas à la vision punitive que les Allemands ont de la sortie de la crise. Au G20 Berlin a également refusé, avec le soutien de Beijing, de se soumettre à une discipline en matière de limitation des excédents des paiements courants. Les Allemands comme les Chinois pensent que s’ils accumulent des excédents c’est tout simplement parce qu’ils sont meilleurs que les autres. Or ce point de vue n’est naturellement pas partagé par la France qui sur le traitement de la crise de l’euro ou des déséquilibres globaux est bien plus proche des États-Unis.

Pourtant si en matière de gouvernance économique l’autonomie de l’euro face aux États-Unis est en définitive aujourd’hui très grande, il en va différemment sur le plan stratégique. Au sein de l’OTAN jamais l’écart entre la contribution américaine et celle des Européens n’a été aussi grand. Et celui-ci n’a cessé de s’accroître depuis 2008. Les Européens continuent à refuser d’être les garants de leur propre sécurité et bon nombre d’entre eux récusent même l’idée d’une défense européenne. La crise malienne  a montré une fois de plus que l’Europe n’avait aucune volonté collective pour agir dans une zone où pourtant sa sécurité est en jeu.

La France ne peut sérieusement compter que sur les Etats Unis pour combler ses défaillances militaires dans trois domaines : le renseignement militaire, le transport de troupes et le ravitaillement en vol. Mais le fait que pour la première fois les Etats Unis aient cherché à facturer l’envoi d’avions de transport à la France montre que l’étau se resserre sur l’Europe sur le plan militaire et que les Européens font preuve d’une grave et persistante inconséquence à négliger les affaires militaires. Soit parce qu’il ne supportent pas l’idée de partager une partie de leur souveraineté (Grande-Bretagne), soit parce qu’ils craignent qu’un renforcement de la défense européenne vienne à atténuer la garantie américaine en Europe.

Certes, certains Etats comme la Pologne semblent enfin avoir compris que le monde a peut-être changé. Mais comment traduire ces bonnes intentions en réalité politique quand on voit la manière dont l’Allemagne a agi lors du conflit libyen ? Comment prendre au sérieux l’effort de défense européen quand les budgets de défense rétrécissent et que la mutualisation des forces avance à un rythme désespérément lent ? Comment envisager l’émergence d’une culture stratégique européenne commune, quand sur un enjeu aussi sensible que celui de la dissuasion nucléaire les positions des pays comme la France et l’Allemagne sont aussi divergentes ? Madame Merkel ne cesse de parler d’union politique en Europe et montre du doigt la France qui s’y montrerait rétive. Peut-être.  Mais  il est temps pour la France de dire à l’Allemagne que l’engagement français dans une union politique passe par l’engagement de l’Allemagne dans l’Europe de la défense. Une Europe de la défense qui ne serait pas là seulement pour mener des opérations de maintien de la paix mais également pour engager le combat quand nécessaire. La dérobade allemande est d’autant plus choquante que Berlin est aujourd’hui le troisième exportateur d’armes dans le monde.