Quelques questions sur l'affaire Ferrand edit

8 juin 2017

Un regard rapide sur l'actualité des derniers mois, voire des dernières années, donne le sentiment d'une augmentation du nombre d'affaires mettant en cause des élus, entretenant ainsi un climat de défiance. Qu’en est-il exactement et quelles réflexions suscite le cas de Richard Ferrand ?

De la culture des petits arrangements à plus de transparence

Rappelons qu'il y a quelques années encore n'existaient pas de dispositifs de financement des partis politiques, alors que leurs dépenses ne pouvaient être ignorées. Nous sommes passés de l'hypocrisie et du déni à plus de transparence même si des progrès restent à accomplir, chaque pas en avant en appelant d'autres.

Les comportements des hommes et des femmes devant la morale et l'honnêteté résultent souvent de situations et d'un environnement. Ce sont en réalité les conditions de leur activité qui peuvent plus ou moins facilement les inciter à céder à la tentation de comportements délictueux surtout s'ils sont largement banalisés. Lorsque l'absence de ressources pour les partis politiques générait des circuits de financement occultes, cette opacité pouvait entraîner les plus fragiles vers des pratiques illégales. Cette observation vaut pour toutes les professions, la pratique de la fraude fiscale n'était évidemment pas la même chez des salariés dont l'employeur a toujours déclaré le salaire que pour certaines professions libérales où les moyens de recoupement et de vérification n'existaient pas.

Nous avons longtemps vécu avec une forte tolérance vis à vis des petits arrangements, une culture du « pas vu, pas pris » voire une forme d'indulgence. Cette tolérance tend heureusement à diminuer et la population manifeste de plus en plus d’exigence envers les élus. Cela est positif mais il faut aussi très clairement faire la différence entre ce qui est licite et ce qui ne l'est pas.

Depuis plusieurs années les dispositifs de renforcement des contrôles se sont multipliés, ce qui explique le sentiment d'une augmentation des comportements répréhensibles, même s'ils sont très différents les uns des autres. La gravité et la nature mêmes des situations sont dissemblables entre un ministre du Budget chargé de lutter contre la fraude fiscale qui détient un compte en Suisse, un député brièvement ministre qui invoque une « phobie administrative » pour ne pas s'acquitter de ses obligations fiscales, une dissimulation dans une déclaration de patrimoine ou un soupçon d'emploi fictif. Mais toutes ces situations ont un point commun, l'absence d'exemplarité que l'on est en droit d'exiger de la part de ceux qui nous représentent, qui gèrent l'argent public, gestion qui doit être irréprochable si l'on ne veut pas accentuer le rejet des prélèvements obligatoires, affaiblir leur légitimité alors qu'ils sont le carburant indispensable du vivre ensemble.

Il y a eu des avancées. François Hollande a mis en place dès son élection la Commission de rénovation de la déontologie de la vie publique dont l'affaire Cahuzac a montré les limites, ce qui a donné naissance à l'automne 2013 à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui a des pouvoirs, sinon des moyens, étendus. Elle peut au-delà de ses missions formuler des propositions, elle peut même, pour améliorer l'exercice du droit d'alerte, être directement saisie par des associations de lutte contre la corruption agréées. Anticor a d'ailleurs récemment utilisé cette procédure pendant la campagne électorale. Les situations ainsi soulevées sont le plus souvent réglées rapidement et sans polémiques qu'elles s'avèrent sans suites ou qu'elles entraînent des sanctions. Malgré ces progrès le rapport de confiance entre les élus et la population continue à se dégrader.

La première loi du quinquennat doit créer les conditions du rétablissement de cette confiance, elle porte d'ailleurs désormais le nom de « Loi pour la confiance dans notre vie démocratique ». Ce choix sémantique est important, les mots sont lourds de sens, mais l'essentiel résidera dans les actes, dans les effets concrets de cette loi. Rien ne serait pire qu'un titre ambitieux sans traduction concrète et perceptible par les Français.

Que nous enseigne l'affaire Ferrand?

Je ne connais pas plus que d'autres le détail des faits reprochés à Richard Ferrand, mais ce que nous en savons conduit déjà à se poser quelques questions.

Le premier reproche concerne l'acquisition de biens immobiliers par sa compagne et leur location à une structure mutualiste dont il était le directeur. Un tel montage n'a a priori rien d'illégal, il n'est pas exceptionnel mais ce sont les conditions dans lesquelles il a été réalisé qui interrogent. Économiquement ce montage était-il le plus favorable aux intérêts des Mutuelles de Bretagne? Si oui pourquoi toutes les précautions n'ont-elles pas été prises pour éviter tout soupçon et respecter les dispositions du Code de la Mutualité? En effet celui-ci, particulièrement protecteur pour les intérêts des adhérents, prévoit que les conventions auxquelles un administrateur ou un dirigeant opérationnel est indirectement intéressé doivent être soumises à l'autorisation préalable du Conseil d’administration. Si cela n'a pas été fait c'est une faute au regard du Code de la Mutualité et une entorse grave au regard des principes de gouvernance mutualistes et de la transparence qui doit accompagner toute décision. Bien sûr Richard Ferrand n'était pas député à l'époque des faits mais l'exemplarité et la rigueur morale que l'on attend de nos élus s'apprécient aussi au regard de comportements passés, fussent-ils légaux.

Le second reproche est d'avoir cosigné une proposition de loi présentée comme favorable, voire comme un cadeau aux mutuelles, laissant ainsi planer le spectre de conflits d'intérêt. Rappelons d'abord que cette loi qui ne vise qu'à rétablir – incomplètement d'ailleurs – la possibilité de passer des conventions entre professionnels de santé et mutuelles avait pour but de restaurer l'équité entre les différentes familles de complémentaires après une décision de la Cour de Cassation de début 2010. Elle a d'abord fait l'objet d'une proposition signée par les républicains Bernard Accoyer et Jean-Pierre Door, par ailleurs tous les deux médecins, puis au Sénat par Jean-Pierre Fourcade avant d'être adoptée par la majorité socialiste. Difficile d'assimiler un tel texte à un cadeau qui serait le produit de conflits d'intérêt et d'un lobbying coupable. Le fait d'avoir eu une vie professionnelle avant d'être député doit-il interdire d'exercer son mandat sur les sujets que l'on connaît? Au moment où chacun critique la professionnalisation excessive de la vie politique, où chacun prône les bienfaits de candidats issus de la société civile, doit-on s'interdire de bénéficier de l'expérience acquise dans d'autres fonctions? Viendrait-il à l'esprit de quiconque de reprocher à Mme Sophie Cluzel d'avoir exercé des responsabilités dans les structures associatives du handicap avant d'être nommée Secrétaire d'Etat dans ce même domaine? Non, bien sûr, mais ce ne doit pas être dû au seul fait que le secteur du handicap n'est pas perçu comme un secteur dans lequel les intérêts économiques sont le principal moteur, mais tout simplement parce que l'expérience personnelle et militante de Mme Cluzel est un atout pour l'exercice de sa mission. Il faut éviter de faire de la prévention des conflits d'intérêt un tel carcan qu'il conduirait aussi à se priver de compétences !

Le troisième reproche, avoir conservé une rémunération de la part de son ancien employeur après son élection, est le plus choquant à mes yeux sur un plan moral même s'il n'est pas répréhensible au regard des règles en vigueur et semble avoir été régulièrement déclaré à l'Assemblée Nationale. S'il est normal de (bien) rémunérer les élus la contrepartie est bien sûr de se consacrer totalement à ses mandats et d'abandonner toute autre activité. La nécessité parfois évoquée de maintenir ainsi un lien avec « la vraie vie » sera beaucoup mieux assurée par la limitation du nombre de mandats successifs que par le cumul d'activité, ce qui est prévu dans la loi qui doit venir en discussion devant le Parlement dans les prochains mois.

Face à une telle situation, deux lectures sont possibles, celle du droit et celle de la morale. Sur ce dernier plan, les élus mis en cause ressentent, ou feignent de ressentir, une forme d'injustice à leur encontre, persuadés que les écarts reprochés sont anodins ou véniels. Pourtant, bien des faits de moindre gravité conduisent à des sanctions, des condamnations, des licenciements pour le commun des mortels. La fonction d'élu doit-elle conduire à plus de mansuétude vis-à-vis des exigences morales? Non, au contraire même, l'exemplarité de la fonction impose davantage de devoirs encore. Pourtant le sentiment que le dévouement des élus, réel dans l'immense majorité des cas, peut justifier quelques écarts avec la morale allant parfois jusqu'à susciter un sentiment d'impunité semble de plus en plus fréquent. C'est d'une prise de conscience, d'un véritable changement de regard vis à vis de tels comportements dont nous avons besoin.

Le Premier ministre a raison de rappeler qu'il a « parfaitement conscience que des usages et des comportements passés qui ne sont pas illégaux mais qui ne sont plus acceptés aujourd'hui ne peuvent plus être tolérés ». Il ne faut en revanche accepter aucune ambiguïté sur le rôle de chacun. La presse doit être un contre-pouvoir et ne subir aucune entrave dans se actions d'investigation mais elle ne doit pas se substituer à la Justice. Il est tout aussi dangereux de laisser penser que c'est aux électeurs de juger comme cela a été trop souvent entendu. Le jugement est l'affaire de la Justice et d'elle seule.