Le couronnement de la primaire ouverte edit

21 novembre 2016

La procédure de la primaire ouverte a connu un deuxième succès éclatant pour sa seconde mise en œuvre. 2,65 millions d’électeurs avaient participé le 9 octobre 2011 à la primaire socialiste, ce qui avait constitué une grande réussite. Dimanche dernier, ce sont plus de quatre millions d’électeurs qui ont participé à celle de la droite et du centre. Désormais, il sera difficile pour les deux grands partis de gouvernement de renoncer à une telle procédure pour désigner leur candidat à l’élection présidentielle. Les électeurs l’ont plébiscitée. Les primaires sont devenues des quasi-institutions.

Les deux grands partis de gouvernement n’étaient pas favorables au départ à cette innovation. François Hollande et Nicolas Sarkozy l’avaient en leur temps repoussée, pour des raisons différentes. À gauche parce que c’était au parti, organe collectif, de choisir son candidat. À droite parce que, dans l’esprit gaulliste, le parti ne devait pas s’immiscer dans la relation directe que le chef devait nouer avec le peuple. La réussite de la première primaire, aussi bien par la mobilisation réussie que par sa contribution à la victoire socialiste à l’élection présidentielle de 2012, a conduit le Parti socialiste à l’institutionnaliser. L’UMP, dont les électeurs avaient regretté à l’époque qu’elle n’en organise pas une, ont été obligés d’adopter cette procédure pour 2017. Gageons qu’après le succès de dimanche, les Républicains n’y renonceront pas dans l’avenir, surtout si le candidat de la droite et du centre l’emporte en 2017.

L’utilisation d’une telle procédure présente de nombreux avantages pour les partis qui sont en mesure de l’organiser. D’abord, ils prennent un avantage sur ceux qui n’en sont pas capables, prouvant leur puissance politique et donnant ainsi l’occasion à leurs candidats de se faire connaître, de faire une pré-campagne avant la campagne. En laissant les électeurs choisir leur candidat, ils augmentent les chances de le voir élu, ayant déjà obtenu une première onction populaire. La primaire, dans un système politique pluri-partisan, permet aussi de contrer les effets potentiellement dangereux d’une multiplication des candidatures au premier tour de l’élection présidentielle. Elle oblige en effet les candidats battus à la primaire à soutenir le gagnant, augmentant ainsi ses chances de victoire, ou à tout le moins de qualification pour le second tour de l’élection présidentielle.

Pour autant, pour que l’élection primaire constitue un véritable atout pour le parti qui l’organise, plusieurs conditions doivent être remplies, qui l’ont été jusqu’ici. Le parti, ou l’ensemble des partis, qui l’organise doit être assez puissant électoralement et occuper un segment suffisant de l’espace politique pour pouvoir mobiliser largement les électeurs. Ce sont les quatre millions de participants de dimanche après les deux millions et demi de 2011 qui permettent d’institutionnaliser les primaires. Il faut également que les partis qui organisent la primaire soient suffisamment unis pour que le candidat désigné soit soutenu par l’ensemble du parti. Si plusieurs partis s’entendent pour organiser ensemble une primaire, ils faut qu’ils s’engagent à soutenir le candidat désigné quel qu’il soit et soient d’accord pour gouverner ensemble en cas de victoire.

L’espace politique occupé par cette primaire doit être suffisamment large pour que les candidats qui s’affrontent représentent des courants, idées, propositions suffisamment différentes afin que la campagne soit animée et mobilisatrice. Enfin, il faut que le parti ou la coalition de partis aient une crédibilité gouvernementale suffisante pour que les électeurs, en votant à la primaire, aient le sentiment que le candidat qu’ils désigneront aura des chances de gagner l’élection présidentielle, les deux tours de primaire constituant alors les deux premiers tours d’un processus électoral qui en comprend quatre.

Ces considérations permettent de comprendre pourquoi la primaire de la droite et du centre de 2016 est d’ores et déjà un succès comme le fut la primaire socialiste de 2011 et pourquoi, comme en 2011, celui qui l’emportera a de bonnes chances d’être élu président de la République. Dimanche dernier, les électeurs, très nombreux, ont eu un choix large de personnalités différentes, suffisamment proches pour accepter les exigences de la primaire mais suffisamment distinctes pour offrir aux électeurs un véritable choix. Les débats ont été très regardés. Les sondages ont permis à chaque moment à ces électeurs de suivre l’évolution des rapports de force et de réagir en conséquence. Il est probable que la désignation du vainqueur ne fera pas l’objet de contestations importantes et que le candidat désigné sera soutenu par tous. Cette primaire lui aura donné un grand avantage sur les autres candidats. Quant au parti principal qui l’organisait, et dont le candidat désigné est membre, il aura conquis une fonction nouvelle et importante dans notre système démocratique : participer de manière presque institutionnelle au processus de désignation du futur président de la République, ce qui ne peut que le renforcer.

Pour les mêmes raisons, la primaire de « la belle alliance populaire » ne pourra connaître un tel succès. C’est en réalité une primaire du seul Parti socialiste et de ses deux satellites. Or ce parti n’occupe plus un espace politique suffisant. Il est coupé de sa gauche par la rupture avec les autres formations de gauche et de sa droite avec l’autonomisation d’Emmanuel Macron. Le président sortant semble vouloir se représenter alors que la certitude d’une lourde défaite est un sentiment partagé par son propre parti. Son éventuel challenger principal à la primaire, Arnaud Montebourg, a naguère déclaré qu’il ne pourrait pas soutenir François Hollande à l’élection présidentielle si celui-ci était le candidat du parti. L’opinion publique rejette massivement la perspective aussi bien de la candidature du président que du retour au pouvoir du Parti socialiste. En outre l’unité du parti elle-même est menacée et son avenir incertain. Il est donc probable que cette primaire, qui doit se tenir en janvier, mobilise peu et que le candidat désigné n’apparaisse pas avoir des chances réelles de victoire en 2017.

Le Parti socialiste risque ainsi de ne pas profiter des effets positifs de la primaire. On comprend que Jean-Christophe Cambadélis appelle Emmanuel Macron à participer à la primaire. Mais c’est bien tard. Il aurait fallu que le Parti socialiste, depuis longtemps, n’ait pas considéré les sociaux-libéraux comme des ennemis à stigmatiser et à écarter mais plutôt comme l’aile droite du parti, ce qui aurait peut-être poussé Macron à mener son combat à l’intérieur et non à l’extérieur. Avec le mécanisme de la primaire, un parti qui se propose de gouverner ne peut se permettre trop de sectarisme et de fermeture. Ce sont en effet les électeurs qui choisissent le candidat à l’élection majeure et non un noyau de militants. Le sectarisme ne sied qu’aux formations qui ont exclu de parvenir au pouvoir dans le système démocratique.

Le mécanisme de la primaire présente ainsi un immense avantage pour les partis qui ont les moyens de l’organiser. Encore faut-il qu’ils en comprennent la logique et obéissent à ses contraintes. Si l’an prochain le candidat des Républicains gagne l’élection présidentielle, nul doute que la primaire réussie de la droite et du centre y aura contribué et que le mécanisme de la primaire y puisera une légitimité renforcée.