Le Brexit au prisme des autres Etats membres de l’Union européenne edit

3 novembre 2015

Le Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI) et la Fondation Robert Schuman ont réuni des experts européens pour s'interroger sur la négociation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne qui s’ouvre en amont du référendum sur le Brexit (1). La question adressée aux Britanniques est claire : « Pensez-vous que le Royaume-Uni doive rester ou quitter l’Union européenne ? » Quelles sont les exigences du gouvernement britannique ? Ces demandes sont-elles acceptables par ses partenaires européens ? À quels compromis peuvent-ils se résoudre pour garder le Royaume-Uni dans l'Union ?  L'issue du référendum dépendra en partie des négociations qui vont s'engager entre Londres et ses partenaires européens et des réponses qui seront apportées à ces questions.

Que souhaite le Royaume-Uni?
Le résultat du référendum est naturellement très difficile à prévoir aujourd’hui et beaucoup d’événements peuvent se produire avant que ce référendum soit organisé. La situation politique du Royaume-Uni ainsi que la crise migratoire auront une influence importante sur l’issue du processus. Autre inconnue : l’issue des négociations qui s’engagent entre Londres et ses partenaires européens. Or si, au Royaume-Uni, les rapports de force s’annoncent vifs entre David Cameron et les europhobes de son parti, il devra évaluer ce que les autres gouvernements nationaux sont prêts à accepter et adopter une attitude conciliante avec ses partenaires européens. Cette situation est non seulement inconfortable pour le Premier ministre britannique sur le plan interne, mais elle pose de sérieux problèmes sur le plan externe. D’une part, David Cameron risque de perdre la face et son référendum s'il obtient trop peu dans la renégociation des termes de l'appartenance du Royaume-Uni à l'UE. D’autre part, les « demandes » (terme récusé à Londres) du gouvernement britannique pourraient être trop exigeantes pour être jugées acceptables par les partenaires européens.

Ce n'est pas la première fois qu'un tel débat a lieu au Royaume-Uni. Déjà en 1975 les Britanniques étaient appelés à exprimer leur avis sur l'appartenance à l'Union. Le « oui » l'avait alors emporté avec 67% des voix. Aujourd'hui, la montée des partis eurosceptiques, voire europhobes (comme UKIP), et les crises économiques et politiques qui continuent d’affecter l'UE font craindre un résultat beaucoup plus serré. L'issue du scrutin est aujourd'hui très incertaine. 

Les exigences britanniques concernant l'Union européenne n'ont pas encore été officiellement formulées, mais il est déjà possible d'en dessiner les principales lignes de forces : approfondissement du marché unique pour permettre plus de compétitivité et de croissance ; accroissement du rôle des parlements nationaux dans le contrôle des décisions européennes ; obtention d'un droit de retrait de l'objectif d’une « Union sans cesse plus étroite » ; concernant les rapports entre la zone euro et le reste de l’UE, volonté de protéger les intérêts des Etats qui ne sont pas membres de la zone euro ; et limitation des droits des migrants européens à bénéficier des prestations sociales dans les pays d’accueil.

Le Royaume-Uni doit rester mais pas à n’importe quelle condition
Les Etats membres de l’UE ne sont pas partisans d'un Brexit et souhaitent aider le gouvernement britannique à trouver une issue positive et une sortie « par le haut » au processus engagé avec le maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE mais pas à n’importe quelle condition.

Le Royaume-Uni est perçu par maints Etats membres comme un partenaire essentiel et un acteur fondamental de la construction européenne, notamment en matière de renforcement du marché intérieur, mais aussi en matière de diplomatie, de sécurité et de défense.

En outre, pour certains pays comme la France, l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union européenne a également permis d'instaurer un équilibre des puissances notamment vis-à-vis de l'Allemagne. Cet équilibre serait rompu par une sortie du Royaume-Uni et l'Union sortirait affaiblie de toute désunion, surtout dans un contexte où l’UE et ses Etats font face à des défis de première importance tant sur le plan interne que sur le plan externe.

Néanmoins, transiger sur les principes fondateurs qui régissent l'UE et que le Royaume-Uni aimerait renégocier est un Rubicon que tous se refusent à franchir. Parmi ces principes, le plus important est sans doute celui de la liberté de circulation. L'Allemagne, la France, la Pologne, mais aussi l'Espagne, l'Italie, et la Finlande sont tous catégoriques : ils ne reviendront pas sur les principes fondamentaux de la libre circulation des personnes.

Concernant les relations entre la zone euro et le Royaume-Uni, les tensions aussi sont réelles. Même si les préférences économiques de l’Allemagne convergent avec celles du Royaume-Uni, l’euro impose deux visions fondamentalement différentes de l’avenir de l’UE. Lors des différentes crises qui ont affecté l'UE, la réponse de l'Allemagne a toujours été d'apporter « plus d'Europe » et l'approfondissement de la zone euro constitue une priorité pour Berlin. Même les pays qui ne sont pas membres de la zone euro ne sont pas forcément enclins à partager les exigences des Britanniques sur le sujet. La Pologne par exemple, bien que ne faisant pas encore partie de la zone euro, reste attachée à l'Union économique et monétaire européenne et a affirmé son souhait d'adhérer à la zone euro, contrairement au Royaume-Uni.

Par ailleurs, certaines des demandes du Royaume-Uni nécessiteraient une modification des traités. Les partenaires de Londres sont susceptibles d'accepter le renforcement des pouvoirs de contrôle des parlements nationaux, ainsi que l’approfondissement du marché unique. Mais tous se refusent à ouvrir la Boîte de Pandore que constituerait une révision des traités.

Last but not least, la question britannique est susceptible de raviver les revendications indépendantistes au sein du Royaume-Uni. Une majorité d’Écossais s'oppose à une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Si l'issue du référendum conduisait à au « Brexit », un second référendum sur l'indépendance de l’Écosse serait certainement organisé. Le gouvernement écossais a d'ailleurs demandé à ce que le résultat du référendum soit calculé à la double majorité, proposition rejetée par le gouvernement britannique.

David Cameron a promis le référendum aux anti-européens de son parti mais souhaite que la Grande-Bretagne reste au sein de l’Union européenne. Il veut simplement obtenir un certain nombre de gages. Il lui sera difficile de maintenir un équilibre entre ce qu’on lui réclame de lui à la Chambre des Communes et à la Chambre des Lords et ce que ses partenaires européens sont prêts à lui accorder. Il est donc primordial que l’UE arrive à sortir de la crise actuelle, tant sur le plan interne avec la crise de l’UEM que sur le plan externe avec la crise des réfugiés. Un « non » britannique précipiterait le Royaume-Uni dans l’inconnu. En outre, il changerait le destin de l’intégration européenne en actant une véritable désunion politique d’une expérience régionale sans équivalent dans le monde. Si le « Brexit » n’est pas certain, on ne saurait exclure sa possibilité. Il faut donc réfléchir aux différents scénarios qui pourraient découler des résultats du référendum.

 

1. Cette initiative a conduit à la publication récente du rapport « Brexit : un compromis possible entre le Royaume-Uni et les Etats membres de l’UE ? », sous la direction de Thierry Chopin et de Christian Lequesne. Pour une perspective plus large, on peut lire le dernier livre de Thierry Chopin, paru en octobre 2015: La fracture politique de l'Europe.