Et le vainqueur est… Pedroooo ! Ou l’impossible recomposition du PSOE edit

23 mai 2017

Beaucoup se souviennent de Penelope Cruz, dans une scène devenue d’anthologie, criant le nom de « Pedroooo… » pour signifier qu’Almodovar venait de gagner l’oscar du meilleur film étranger. Dimanche 21 mai au soir, beaucoup de militants socialistes espagnols ont lancé un pareil cri, un cri du cœur. L’ancien secrétaire général Pedro Sánchez, défenestré le 1er octobre dernier (voir sur Telos l’article Mort du PSOE?), est sorti vainqueur de ces élections primaires, internes au parti socialiste et qui devaient désigner le prochain secrétaire général.

Sur plus de 144 000 votants, Pedro Sánchez rassemble 74 223 voix soit 50,21% du total. La favorite du scrutin, la présidente d’Andalousie, Susana Diaz, n’obtient que 39,94% des voix (59 041) et Patxi López, ancien président du Parlement et ancien lehendakari, à peine 10% (14 574 et 9,85%). Aucun sondage et aucun stratège n’avait envisagé ce résultat. Susana Diaz était tellement assurée de sa victoire que, le 15 mai dernier lors d’un débat télévisé opposant les trois candidats, elle avait fait montre de supériorité et d’un certain mépris à l’égard de « Pedro », n’hésitant pas à lui dire « le problème du PSOE c’est toi Pedro. Le plus mauvais score électoral du PSOE, c’est toi Pedro »… Ambiance.

Une analyse du résultat

Susana Diaz, candidate adoubée par l’appareil du parti et les grands anciens, Felipe González en tête, subit un revers humiliant. Elle l’emporte dans son fief en Andalousie avec plus de 13 000 voix d’avance sur son rival Pedro Sánchez (63,1% contre 31,6% et 5,4% pour P. López). C’était attendu mais c’est la seule communauté autonome où elle l’emporte. Partout ailleurs, elle est balayée par le cyclone Sánchez. Ainsi en Catalogne, Pedro Sánchez obtient 8302 voix contre 1191 à Diaz et 644 à López, soit un score de 81,9%. À Madrid, malgré le soutien de la fédération à Susana Diaz, Sánchez est en tête (49,5% contre 31,7% à Diaz et 18,7% à López). Dans la communauté autonome de Valence où le président Puig avait pris fait et cause pour Susana Diaz, même triompe de Sánchez : 63% des suffrages!

Contre tous les pronostics, Pedro Sánchez s’est imposé. Sa victoire est nationale ce qui va lui donner une force et une légitimité dont il aura bien besoin pour contrer l’influence des barons territoriaux qui ne voulaient pas le voir revenir à la tête du Parti.

Pour mesurer l’ampleur de la surprise et la déstabilisation des élites, il faut lire l’éditorial publié le 22 mai dans El País et intitulé de manière éloquente : « El Brexit del PSOE ». La victoire de Sánchez, analyse le quotidien, aggrave la crise du parti. Elle est le fruit du populisme et un nouvel indice de l’ampleur de la crise de la démocratie représentative. De même que le Labour s’en est remis aux mains de Corbyn, que le PS est aux mains « du radical Hamon », le PSOE a choisi la voie extrême. Sánchez a mené campagne sur deux illusions : faire croire qu’il existe au parlement une majorité alternative au Parti Populaire et dire aux militants que le PSOE c’est un leader plus des masses. Pour El País, tout cela est faux : il n’y a pas de majorité de substitution à la formule actuelle sans passer par des élections anticipées et le PSOE est une organisation décentralisée qui épouse les diversités de l’Espagne. Or, à l’heure où la sécession catalane se précise, le grand quotidien de centre-gauche voit dans l’élection de Sánchez le signe d’un affaiblissement encore plus intense du PSOE.

Que signifie le retour de Pedro Sánchez?

L’analyse que propose El País est celle qu’ont dû faire Felipe González et les responsables actuels du PSOE. Qu’on lise les articles de eldiario.es, quotidien numérique proche de Podemos, et on aura une toute autre lecture du résultat. Au contraire, on y célèbre la victoire des militants contre l’appareil et la possibilité d’une reconstruction de la gauche pour chasser le PP du pouvoir. Dès le 22 mai au matin , la maire de Barcelone, Ada Colau appelait à un « travail commun » entre les forces de gauche pour « jeter le PP hors du pouvoir ».

Il y a bien dans le vote des militants socialistes une volonté de revanche. Enric Juliana, dans La Vanguardia, parle de « la vengeance du comte de Monte Cristo ». Plusieurs sympathisants de Sánchez soulignent la force de son message quand, au lendemain de sa défenestration par l’appareil, il démissionna de son siège de député, s’inscrit au chômage et prit sa voiture personnelle pour parcourir les fédérations. Tout cela paraissait alors des gestes de désespéré… ils préparaient la victoire.

Le retour de Pedro Sánchez c’est donc d’abord un désir de gauche, exprimé par des militants. C’est ensuite la traduction des tensions au sein même du socialisme espagnol liées à la crise catalane. Quand Susana Diaz insulte les Catalans, cela se traduit par un soutien massif du Parti Socialiste de Catalogne à Pedro Sánchez. Durant sa campagne, Pedro Sánchez a dit de l’Espagne qu’elle était une « nation de nations », musique qui plait en Catalogne. Il a dû corriger et il a parlé de « nations culturelles »… la variation mélodique plaît encore. Rien à faire : les ambiguités de Sánchez passent en Catalogne. Personne n’y a oublié comment l’absence de vision de Zapatero a favorisé le déclenchement de la crise actuelle. Sánchez est un Zapatero bis qui promet aux Catalans qu’il fera avec leur volonté. Point n’est besoin de préciser de quelle volonté il s’agit et comment orienter cette volonté : on flatte, on surfe dans l’air du temps… On gagne quelques mois et on verra après.

Pablo Iglesias qui venait de déposer au Parlement une motion de censure contre Rajoy, au motif de la corruption qui gangrène le PP, vient de proposer à Pedro Sánchez de la retirer pour faire place à une motion du PSOE. Le mécanisme de la motion de censure est constructif : il ne s’agit pas seulement de censurer Rajoy mais d’élire un autre chef de gouvernement. Iglesias sait qu’il ne peut pas être le candidat de toute la gauche. Il propose à Sánchez de l’être. Le pas de deux entre le PSOE et Podemos va reprendre et Pablo Iglesias sait bien que le parti socialiste est au bord de la rupture. L’aile modérée refusera l’alliance avec la gauche radicale mais les militants viennent d’exprimer leur désir de gauche. De tout cela, Podemos peut ramasser une partie de la mise et croître aux dépens du PSOE.

Le lancinant problème de la gauche en Europe

La crise du PSOE rejoint celle du socialisme démocratique en Europe. Cette alternative entre une gauche modérée et une gauche radicale est partout désormais dans les panoramas politiques et électoraux. Aux offres idéologiques concurrentes s’ajoutent les difficultés nées de la division de l’électorat. Une part non négligeable de l’électorat de gauche ne se résigne pas à ce qu’il interprète comme une capitulation face au libéralisme mondialisé. Cette part est insuffisante, à l’heure actuelle, pour gagner des élections et suffisante pour faire perdre à la gauche sa capacité à accéder au pouvoir. Cela est connu. Pour autant, cela durera-t-il? En politique, tout n’est que moments et séquences. Tout est réactif. Le creusement des inégalités et l’hégémonie intellectuelle du progressisme nourrissent de manière contradictoire les gauches. Mais peut-être que cette contradiction se résoudra-t-elle politiquement ou dans la violence de mouvements sociaux. 

En attendant, la gauche européenne semble en panne, face à deux trajectoires aussi démoralisantes l’une que l’autre. La première : persister dans la radicalisation en attendant le grand soir ; la seconde : continuer à rogner ses ambitions de transformation économique et sociale et se donner à une seule dimension sociétale. Le « et en même temps » du président Macron reste encore au stade de promesse et suppose bien une dilution de la gauche dans quelque chose qui reste à définir.

Dans cet entre-deux, l’Espagne présente une singularité inquiétante : celle du défi catalan. Défi à la démocratie et à l’État de droit, donc à la démocratie représentative. L’affaiblissement du PSOE est une très mauvaise nouvelle pour l’Espagne. La démagogie n’a jamais servi durablement la cause du peuple.