Où en est la politique monétaire américaine ? edit

1 juin 2011

Le Réserve fédérale arrive au terme de sa politique de Quantitative Easing 2 (QE2) qui a consisté à acquérir pour 600 milliards de dollars de dette du Trésor depuis octobre. Cette politique représente le dernier épisode en date des mesures exceptionnelles prises par la banque centrale américaine depuis le début de la crise, lesquelles ont fait passer son bilan de 900 à 2800 milliards de dollars. De nombreux analystes estiment que la bonne performance des marchés financiers depuis l’automne 2010 reflète en grande partie la politique de QE2, et craignent que la fin annoncée de ces achats ne conduise à un coup d’arrêt sur les marchés.

Peut-on craindre une rechute des marchés ? Répondre à cette question revient à apprécier l’impact des mesures de la Réserve fédérale sur les différents marchés financiers. Il convient pour cela de distinguer entre les différentes étapes des interventions de la banque centrale, lesquelles ont grosso modo procédé en quatre temps. Rappelons qu’avant la crise, les avoirs de la Fed consistaient essentiellement en bons du Trésor qu’elle utilise dans la conduite de la politique monétaire.

La première phase des mesures exceptionnelles va du début de la crise en août 2007 à la chute de Lehman Brothers en septembre 2008. Durant cette année la Fed n’a pas augmenté la taille de son bilan, mais en a substantiellement changé la composition avec une réduction des bons du trésor et un accroissement des prêts de soutien aux institutions financières. Cela s’explique par le rôle central des bons du Trésor comme collatéral sans risque dans les transactions financières. La tourmente sur les marchés a conduit les investisseurs à réduire leurs placements à risque et parquer leur fonds en bons du Trésor, lesquels sont alors devenus prisés et rares. La rareté de ce collatéral a perturbé le fonctionnement des marchés, et la politique de la Fed a consisté à contrer cet assèchement en prêtant aux institutions financières les bons du Trésor qu’elle détenait. Ces mesures ont permis de limiter les tensions sur les marchés.

La seconde étape va de la chute de Lehman Brothers à mars 2009, et présente deux caractéristiques principales. Tout d’abord, la composition du bilan a fortement évolué avec l’apparition de toute une palette de nouveaux outils. Ceux-ci comprennent entre autres les accords de swaps qui permirent d’alimenter les banques centrales étrangères en dollars, afin qu’elles puissent les prêter à leur tour à leurs banques, le refinancement de titres à court terme émis par les entreprises pour financer leurs opération courantes (le marché des commercial papers), le soutien aux mutual funds afin d’éviter une panique généralisée des investisseurs. La deuxième caractéristique de cette période est la forte hausse de la taille du bilan qui a passé de 940 à 2250 milliards en l’espace de deux mois. Le consensus est que les mesures prises durant cette phase ont permis de stabiliser les marchés et de limiter les dégâts. Cette efficacité est plus à attribuer à ce que la Fed appelle le credit easing, c’est-à-dire les mesures ciblées sur des marchés spécifiques, qu’au quantitative easing, à savoir l’accroissement de la taille du bilan. En d’autres termes la composition du bilan importe plus que sa taille, un point souligné alors par Bernanke.

La troisième étape va de mars 2009 à mi-2010. Durant cette période la taille du bilan de la Réserve fédérale ne s’accroît que modérément, mais sa composition change en profondeur. La plupart des mesures de soutien ciblées prises durant la seconde étape sont retirées une fois le pire de la tourmente passé. Ces retraits sont compensés par une intervention visant à soutenir le marché immobilier qui est alors en chute. La Fed acquiert pour près de 1300 milliards de dollars de titres adossés au marché immobilier, soit la moitié de son bilan, une catégorie d’actif qu’elle n’avait jamais détenue jusqu’alors. Le but de cette mesure était de remplacer les investisseurs privés qui s’étaient retirés du marché, afin de prévenir une chute encore plus forte des prix immobiliers qui aurait aggravé la récession. Cette politique a eu un effet indéniable comme le montre les taux hypothécaires. En mars 2009 l’écart entre le taux sur les hypothèques à 30 ans et les bons du Trésor à 10 ans – une mesure du coût du financement immobilier par rapport à une référence sans risque – se montait à 2,25 points de pourcentage. Cet écart a chuté à 1,25 points d’ici à mi-2010, un changement dû en grande partie à l’intervention agressive de la Fed sur un marché pour lequel les investisseurs n’avaient qu’un appétit limité. Il convient de souligner que cet effet reflète plus la composition du bilan, et donc le ciblage des interventions, que sa taille à proprement parler.

La quatrième étape est le QE2 qui voit le bilan de la Réserve fédérale augmenter de près d’un cinquième depuis l’automne 2010. Cette hausse est due exclusivement aux achats de bons du Trésor, les avoirs adossés à l’immobilier entamant une lente décrue. A priori nous pourrions nous attendre à ce que le financement de la dette publique par la banque centrale conduise à une réduction des taux d’intérêts. Il est dès lors frappant de constater que ces taux ont en fait augmenté durant les mois de QE2, même s’ils restent à des niveaux modérés. Ce mouvement paradoxal peut s’expliquer par le renforcement des perspectives conjoncturelles des Etats-Unis à fin 2010, une telle embellie exerçant une pression à la hausse sur les rendements. Une analyse statistique simple confirme cet effet, et montre que le QE2 en soi a plutôt poussé les taux à la baisse comme on pouvait s’y attendre. Cet effet est toutefois modéré. Le QE2 est également associé avec un affaiblissement du taux de change. La valeur du billet vert s’est en effet dépréciée de près de 6% face à un panier des principales devises étrangères depuis septembre 2009. Il convient toutefois de noter que le taux de change a connu des girations plus fortes durant d’autres phases de la crise, ce qui montre que l’impact de QE2 est somme toute limité. Le dollar a par exemple gagné 16% en quelques mois lorsque la chute de Lehman Brothers conduisit les investisseurs à chercher refuge dans les bons du Trésor américain.

Comment se fait-il qu’une injection de 600 milliards de dollars n’ait que peu d’effets ? La raison est que dans le cadre du QE2 la Fed s’est concentrée sur un marché où les investisseurs étaient déjà bien présents. Les actions de la Fed ont eu des effets notables lorsqu’elle investissait dans des marchés où les investisseurs ne se bousculaient pas, comme l’immobilier, et par conséquent ses achats comblaient un certain vide. En ces temps troublés, l’appétit des investisseurs pour la dette publique américaine est resté élevé, car elle représente un actif liquide et relativement sûr très recherché. La présence d’un investisseur supplémentaire, même grand, n’a dès lors pas vraiment changé la donne. On peut se demander pourquoi la Fed a alors choisi d’acquérir des bons du Trésor plutôt que d’autres actifs sur lesquels elle aurait eu un impact plus marqué. La raison est à chercher dans le manque d’appétit d’une partie du comité directeur de la Fed pour ces mesures de soutien ciblées. Si cette minorité a pu se rallier au QE2, elle ne l’a fait qu’à condition que la Fed n’accumule pas de positions supplémentaires dans des actifs risqués. Il est à cet égard frappant de constater que la distinction entre credit easing et quantitative easing, si centrale dans la communication en 2009, est absente de la communication portant sur le QE2.

Au vu de l’impact limité du QE2, il est peut vraisemblable que la stabilisation du bilan de la Fed à un haut niveau entraîne un affaiblissement des marchés. Bien entendu, il n’en reste pas moins possible que ceux-ci connaissent une période difficile dans les semaines à venir, mais cela ne sera pas dû à la fin du QE2, mais plutôt à d’autres facteurs comme les tensions sur la dette grecque.