Pourquoi il faut dire non à Blair edit

27 octobre 2009

Avant même que ne s’achève le processus de ratification du traité de Lisbonne, les chefs d’État et de gouvernement européens commencent à réfléchir au  nom du futur président de l’Europe. Aujourd’hui, c’est celui de Tony Blair qui revient le plus souvent. A priori, ce choix paraît judicieux. L’ancien Premier ministre britannique dispose d’une grande expérience politique internationale et dégage une forte personnalité. Pourtant, en regardant les choses un peu plus près on est amené à nourrir quelques doutes quant à la pertinence de ce choix.

En tout premier lieu, et contrairement à certaines idées reçues,  le rôle du président du Conseil européen ne se limitera pas  à la représentation extérieure de l’Union européenne comme on le dit souvent dans la presse. En effet, le traité de Lisbonne prévoit que le président animera les travaux du Conseil européen, assurera la continuité des travaux de ce Conseil en coopération avec le président de la Commission, facilitera la cohésion et la recherche de consensus au sein du Conseil. Il sera par ailleurs chargé de présenter au Parlement européen un rapport à la suite de chacune des réunions du conseil européen. Il assurera enfin « à son niveau et en sa qualité, la représentation extérieure de l’Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, sans préjudice des attributions du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ». Et ce n’est d’ailleurs probablement pas un hasard si ces dispositions sur la politique étrangère arrivent à la fin d’un article déjà assez vague…

Autrement dit, la première qualité attendue du président n’est pas tant sa visibilité extérieure que sa capacité à fabriquer du consensus au sein du conseil. Naturellement, les deux faces d’une même fonction ne sont pas contradictoires. Sauf qu’il est difficile d’imaginer que l’on puisse pleinement réussir dans son travail de représentation sans avoir préalablement réussi à fabriquer du consensus. Or il n’est pas du tout sûr que l’ancien Premier ministre britannique soit l’homme idoine pour s’acquitter d’une telle tâche.

Tony Blair s’est d’abord et avant tout imposé en s’affirmant sur le plan personnel et en incarnant un certain nombre d’idées fortes qui n’étaient d’ailleurs pas forcément partagées par les travaillistes britanniques. Autant dire que la présidence du conseil n’a rigoureusement rien à voir avec la direction d’un gouvernement national. On a donc du mal à imaginer que M. Blair dont la personnalité est assez forte mais pas forcément empreinte d’une grande patience puisse créer du liant entre les dirigeants européens aux origines, aux traditions et aux politiques différentes les unes des autres. Tony Blair a toujours beaucoup plus divisé qu’il n’a rassemblé.

C’est bien évidemment une affaire de personnalité, mais pas seulement. Vis-à-vis de l’Europe, les Britanniques ont toujours eu un objectif prioritaire : empêcher que les décisions prises à Bruxelles gênent de quelque façon que ce soient les intérêts britanniques. Cette  préoccupation a toujours été bien plus importante que la recherche d’une forme de domination sur l’ensemble du continent et encore moins de recherche de consensus entre les Européens. En tant qu’ancien chef de gouvernement, Tony Blair sera inévitablement conduit à comparer ses responsabilités européennes avec les responsabilités qui furent les siennes à la tête du gouvernement britannique.

Or s’il se livre à cet exercice il sera conduit à penser qu’elles sont tout simplement incomparables. C’est un peu ce qu’il a d’ailleurs dû se dire lorsqu’il s’est retrouvé à la tête du Quartet au Proche-Orient. Personne dans cette région ne garde un souvenir marquant de son action. Tony Blair n’est de surcroît guère familier avec les procédures communautaires. Il est davantage soucieux  de passer en force que de prendre son temps pour faire avaliser certains choix collectifs. Les Britanniques, comme les Français au demeurant, n’ont de surcroît aucune culture politique de la coalition, alors que c’est la culture politique dominante de l’Europe. C’est la raison pour laquelle il serait préférable de choisir un président du Conseil dans les rangs d’un pays où la culture de la coalition et du consensus font partie du paysage politique.

Le président du Conseil devra donc trouver un consensus entre ses pairs. Mais il devra également naviguer entre deux personnages bien décidés à ne pas accepter un empiètement de leurs compétences : le président de la Commission mais surtout le responsable de la politique extérieure qui est censé être le grand bénéficiaire institutionnel du traité de Lisbonne ! Ce n’est d’ailleurs pas une des moindres contradictions de ce traité que d’accroître les responsabilités extérieures du représentant de la politique étrangère tout en créant un nouvel acteur qui pourrait le concurrencer… Or rien ne dit que Tony Blair gagnera cette manche, car le responsable de la politique étrangère aura pour avantage d’avoir derrière lui le pouvoir bureaucratique et les moyens financiers liés à la fusion des responsabilités d’action extérieure (RELEX) et de politique étrangère. M. Blair sera le challenger et non le détenteur du titre !

Certes, certains ne manqueront pas de faire valoir le fait que la qualité des hommes est de nature à faire évoluer les pratiques. Mais en matière de politique étrangère, il faut rester prudent. L’idée éternellement ressassée d’une Europe manquant d’un numéro de téléphone et qu’un président du Conseil pourrait ainsi mécaniquement combler n’est pas très convaincante.

Le fond du problème n’est pas de nature institutionnelle. Il réside dans l’absence de consensus réel entre les Européens sur le contenu de leur action extérieure. Tant que ce consensus n’existera pas ou restera très faible il est illusoire de penser qu’un président si brillant soit-il puisse de quelque manière que ce soit remédier à cette carence.

Les chances de succès seront d’autant plus faibles que Tony Blair est britannique. Or à ce titre il suscitera la méfiance de bon nombre d’États européens sans pour autant bénéficier de la confiance de son propre gouvernement. En effet, les conservateurs qui ont toutes les chances de remplacer les travaillistes à la faveur des prochaines élections législatives ne voient pas du tout d’un bon œil sa nomination. On peut donc compter sur eux pour qu’ils ne lui facilitent pas la tâche. Or dans l’Europe telle qu’elle existe actuellement, un responsable européen qui se trouverait en porte-à-faux avec son propre gouvernement verrait son autorité mécaniquement diminuée, surtout si celle-ci se rapporte à un domaine non communautarisé.

Enfin il y a un dernier point qui milite contre la candidature de M. Blair : elle concerne son passif irakien. Qu’on le veuille ou non son soutien aveugle à la politique de M. Bush l’a profondément discrédité au sein de l’opinion publique européenne. Certes, tout homme politique peut faire des erreurs. Mais en la matière M. Blair n’a jamais fait amende honorable. C’est d’autant plus gênant, que l’arrivée au pouvoir de M. Obama a considérablement accru le discrédit de ceux qui avaient  choisi de soutenir M. Bush. Face à la fraîcheur d’un Obama Tony Blair apparaît désormais comme un homme usé.