Délocalisations : quels effets sur l’emploi ? edit

13 novembre 2009

Depuis quelques décennies, les entreprises des pays industrialisés se sont engagées dans une politique de délocalisation, soit en confiant des activités peu qualifiées ou intensives en travail à des filiales étrangères, soit en achetant des biens intermédiaires à des sous-traitants étrangers. On a beaucoup débattu des effets sur l’emploi. Une étude récente sur des données allemandes permet d’affiner le regard : à l’échelle de l’entreprise, des effets négatifs sur l’emploi seraient d'abord le symptôme d’un retard technologique et donc d’un management défaillant.

On ne sait pas encore décrire précisément les effets sur les marchés du travail de la fragmentation internationale des chaînes de production.

La théorie économique prévoit que le processus de délocalisation peut avoir des effets positifs ou négatifs sur l’emploi dans l’entreprise donneuse d’ordres. Les effets positifs peuvent se manifester si les économies réalisées rendent les entreprises plus compétitives et qu’elles augmentent leurs parts de marché dans le monde. Les effets négatifs peuvent résulter de la réduction des effectifs et de la relocalisation de la production à l'étranger.

Savoir de quel côté penche la balance, en fin de compte, est une question empirique. Malheureusement, les résultats des études empiriques menées jusqu’ici ne permettent guère de conclure. Les études fondées sur des macro-données ont tendance à trouver des effets sur l’emploi insignifiants, ou faiblement négatifs. Les études fondées sur des micro-données trouvent des effets positifs et négatifs sur emploi. Par exemple, Becker et Muendler (2008) ont examiné les effets de la création de filiales étrangères sur l'emploi ; ils trouvent que les multinationales allemandes qui se développent à l’étranger ont tendance à moins réduire l’emploi dans leur pays d’origine. Cependant, la plupart des études actuelles ne permettent pas de distinguer précisément les effets positifs des gains de productivité et les effectifs négatifs.

Dans une analyse récente d'un échantillon représentatif d'entreprises allemandes, nous avons tenté d’identifier les logiques qui déterminent l'effet emploi des délocalisations, en raisonnant à l'échelle de l'entreprise. Nous trouvons qu’en général une firme qui délocalise a également une meilleure performance en matière d’emploi, de gain de productivité, de gain de parts de marché sur son marché national et à l’international, que si elle ne s’est pas engagée dans cette stratégie. En outre, la part de sa production qu’elle réalise elle-même reste inchangée, ce qui indique que la délocalisation signifie surtout le remplacement d’un sous-traitant national par un sous-traitant étranger, plus qu’une réduction de la production réalisée en interne.

Ce résultat nous permet d'isoler un effet positif de la productivité sur l'emploi, si l’on raisonne à l’échelle de l’entreprise. Cependant, l'emploi peut décroître (relativement) quand cette entreprise s’engage à la fois dans une restructuration et dans des délocalisations. Dans ce cas, on peut isoler un effet négatif sur l’emploi.

Nous concluons qu’en moyenne, c’est l'effet positif sur l’emploi, dû principalement au gain de productivité, qui domine. Il faut bien sûr noter que ces résultats valent à l’échelle d’une entreprise et qu’on ne peut les extrapoler à l’échelle d’une économie nationale, puisque l’effet sur les sous-traitants peut être négatif, notamment s’ils sont dans une situation de dépendance vis-à-vis du donneur d’ordres. De même, notre étude ne permet pas de décrire les évolutions internes de l’emploi au sein de l’entreprise, les métiers qui émergent et ceux qui déclinent, par exemple.

Notre travail permet en revanche de pointer un effet qu’il convient de souligner : la combinaison entre la délocalisation et la restructuration affecte davantage les « traînards technologiques ». On peut imaginer en effet qu’une entreprise qui perd du terrain dans ce domaine sera plus susceptible de procéder à des ajustements accélérés, et que la combinaison de fermetures d’établissements, de délocalisations et de filialisation correspond alors à une tentative de rattraper ce retard. Une intuition qu’il faudra confirmer serait alors que les effets positifs sur l’emploi affectent principalement les entreprises qui sont compétitives et innovantes chez elles, et que les effets négatifs correspondent en fait à une stratégie de survie pour des entreprises qui auraient pris, faute d'investissement ou d'une stratégie appropriée par exemple, du retard technologique. C'est alors ce retard qu'il faudrait incriminer, plus que les délocalisations proprement dites.

Références

Becker, S. & M.-A. Muendler (2008), “The Effect of FDI on Job Security,” The B.E. Journal of Economic Analysis and Policy, Vol. 8, p. 1-44.

Moser, C., Urban, D. & B. Weder di Mauro (2009), “Offshoring, Firm Performance and Establishment-level Employment: Identifying Productivity and Downsizing Effects,” CEPR Discussion Paper Series, No. 7455.

Une version anglaise de cet article est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.