L’état de grâce n’aura pas lieu edit

20 mai 2012

La crise politique grecque ravive le risque de fracture dans la zone euro. La crise bancaire espagnole rappelle que le bouclier financier anti-crise est insuffisant. L’annonce d’une moindre croissance prévisionnelle pour la France remet en cause l’objectif 2013 de réduction des déficits à 3% du PIB. En fait François Hollande va devoir trancher plus tôt que prévu les dilemmes stratégiques de la France masqués le temps d’une campagne. Il a certes commencé à le faire en écartant les facilités de la relance keynésienne par la demande et s’est clairement prononcé par une politique de l’offre mais il va être conduit à lever certaines imprécisions programmatiques plus tôt que prévu.

D’une part, il s’est engagé sur une trajectoire de réduction des déficits sur la base de perspectives de croissance optimistes, partagées avec son concurrent politique. Mais ses promesses électorales contredisaient l’engagement d’équilibre à l’horizon 2017. La logique du « tax and spend » des 60 propositions était peu compatible avec l’effort de réduction des déficits requis même avec l’aide d’une sur-taxation des ménages les plus aisés. Comme son concurrent n’était pas plus rigoureux dans ses annonces budgétaires et fiscales, nul ne lui a cherché querelle.

D’autre part il s’est fait l’avocat passionné du volet croissance du pacte budgétaire en réaffirmant sa détermination à respecter la contrainte du déficit de 3% alors que la conjoncture se dégradait, rendant l’objectif hors d’atteinte sauf à aggraver la contraction budgétaire et donc à déprimer d’avantage l’activité économique.

Le président ne peut abandonner le programme sur lequel il s’est fait élire, d’autant que nous entrons à nouveau et pour un mois en campagne électorale. Vis à vis de Mme Merkel, il ne peut pas davantage renoncer à son pacte européen de croissance. Le relâchement des contraintes de réduction de déficit, accordé à l’Espagne, ne peut pas davantage être réclamé pour la France car M. Hollande a ajouté des dépenses nouvelles et n’a guère souscrit aux réformes structurelles menées en Espagne, en Italie et ailleurs en Europe. Pour sortir de cette double impasse nationale et européenne, il doit donc se fixer une ligne, un calendrier, des objectifs réalistes de négociation et s’y tenir.

Avec une croissance estimée à 1,2% et un déficit de finances publiques à 4,2% avant application des mesures prévues dans le cadre du programme socialiste, à savoir des dépenses nouvelles de 20 milliards d’euros et des recettes nouvelles de 29 milliards d’euros, l’engagement pris d’un déficit réduit à 3 % du PIB  en 2013 n’est clairement pas tenable. Faut-il renoncer aux emplois d’avenir, aux contrats de génération, à l’embauche de 60000 fonctionnaires, au coup de pouce au SMIC, faut-il baisser les dépenses de santé en réduisant l’ONDAM, limiter strictement l’accès à la retraite à 60 ans, faut-il diminuer les versements faits aux collectivités territoriales, c’est au nouveau pouvoir politique d’en décider. Une chose est sûre : avant toute mesure nouvelle issue du programme Hollande ce sont 24 milliards d’euros de recettes nouvelles ou de dépenses annulées qu’il faut trouver pour 2013. Faut-il donc s’engager dans une politique de rigueur ?

La réponse apportée par François Hollande a été jusqu’ici qu’on devait combiner politique de rigueur, stratégie de croissance et justice sociale. Mais qu’entend-on par stratégie de croissance à court terme quand l’économie européenne stagne et que les économies du Sud de l’Europe sont en récession ? Un débat sommaire a opposé dans la presse ceux qui considéraient que la croissance passait par une initiative européenne de relance de l’investissement et ceux pour qui elle ne pouvait qu’être le fruit de réformes structurelles visant à élever le potentiel de croissance. Les premiers entendaient mobiliser 1000 ou 2000 milliards d’euros pour financer de grands projets d’équipement transfrontières dans les réseaux électriques, numériques et de transports en mobilisant les fonds communautaires, les moyens de la BEI et les project bonds. Les seconds prétendaient qu’il n’y avait rien de plus urgent que de déréglementer le marché du travail, casser les professions fermées, achever la réalisation du marché intérieur des services. Mais les uns comme les autres se trompent d’horizon temporel : c’est maintenant qu’il faut soutenir l’activité pour éviter la récession. Les project bonds comme l’élimination des rentes ne produiront des effets qu’à moyen et long terme.

Austérité à éviter, croissance hors de portée, le moment est-il venu de relâcher la contrainte du déficit de finances publiques ? L’échec de la stratégie d’austérité appliquée en Grèce puis en Espagne mais aussi au Royaume-Uni est patent : cette politique a profondément déprimé l’activité sans pour autant permettre d’améliorer le ratio dette/Pib. Ce résultat ne milite pas pour la généralisation de la méthode. Même l’Italie dont chacun vante les efforts d’adaptation structurels, et qui partait d’un ratio plus faible de déficit, réclame un assouplissement de la contrainte de finances publiques et s’est ralliée à la stratégie de croissance. Le FMI dans son analyse du premier plan d’ajustement structurel grec reconnaît que la réalité n’a pas été conforme au scénario : le plan d’ajustement structurel n’a pas produit l’effet de confiance qui devait stimuler l’activité privée et réduire le déficit. Au contraire la contraction de la dépense publique et les baisses de salaires ont déprimé l’activité, éloigné la perspective de la consolidation budgétaire et fait exploser le chômage. La France pourrait être tentée de demander à Bruxelles le report d’un ou deux ans pour l’atteinte de l’objectif de consolidation des finances publiques (l’objectif de 3% en 2013). Mais ce que nous avons dit du programme Hollande de « tax and spend » ne permettra guère d’obtenir l’accord de Bruxelles.

Alors que faire ?

D’abord distinguer les horizons. À court terme il faut éviter que l’Europe ne plonge dans la récession et pour cela il faut reporter d’un ou deux ans l’objectif de retour à un déficit de 3% au niveau de la zone euro. Cette décision doit être prise collectivement, elle passe par le maintien des politiques de contraction progressive de la dépense publique mais sans effort supplémentaire du fait du ralentissement de la croissance. À court terme il faut traiter la question grecque pour éviter la crise majeure de liquidités et la contagion au Portugal et à la Grèce.

Cet assouplissement pour être acceptable par nos partenaires européens ne doit pas être considéré comme une licence pour la reprise de la dépense. Il doit au contraire être accompagné d’un train de réformes structurelles visant à rétablir la compétitivité et la soutenabilité de nos finances publiques. Les socialistes ont annoncé quatre réformes structurelles majeures. La réforme territoriale doit permettre de rationaliser la gouvernance du pays en éliminant un plusieurs échelons du millefeuille institutionnel en allouant un bloc de compétences à chaque niveau territorial. La réforme systémique du régime des retraites doit permettre d’éviter de se reposer tous les cinq ans la question du déséquilibre démographique et de l’équilibre financier. La réforme fiscale doit contribuer à la restauration de la compétitivité des PME et à rendre plus progressif le prélèvement fiscal sur les ménages. Enfin l’institution d’une flexisecurité à la française par la négociation sociale doit permettre de faire évoluer l’organisation du marché du travail et au delà la société de défiance qui paralyse la France.

Dans un tel cadre un programme européen d’investissements d’avenir peut faire sens mais la priorité dans le contexte de crise actuelle n’est pas là. La priorité réside clairement dans un soutien à l’activité de la zone euro. Cette priorité peut conduire à différer les objectifs de déficit de court terme mais les réformes structurelles doivent apporter des garanties de soutenabilité à moyen terme des dépenses publiques. Enfin la gauche au pouvoir peut avoir ses priorités de dépenses publiques mais elles doivent s’inscrire dans la trajectoire corrigée de retour à l’équilibre de finances publiques.