Le nouveau welfare : l’aide et la contrainte edit

6 février 2006

Lancée en 1996 sous la présidence de Bill Clinton, l’expérience américaine du welfare reform avait pour enjeu de « réconcilier la responsabilité personnelle et les opportunités de travail ». Pour ses auteurs, il s’agissait d’utiliser à la fois la carotte et le bâton pour inciter les mères célibataires – qui sont les bénéficiaires-types du welfare – à retrouver un emploi. A l’heure des premiers bilans, différents spécialistes parmi lesquels Rebecca Blank ont entrepris l’évaluation de cette réforme et de ses effets. Que peut-on en retenir ?

L’une des idées-force consistait à décentraliser la gestion du système en la déléguant aux Etats, dans certaines limites assez peu contraignantes. Pour un Français, c’est l’abomination des abominations : inégalités de traitement, concurrence par le bas... mais les cinquante Etats américains subsistent depuis longtemps avec des différences de systèmes socio-fiscaux très importantes, sans que cela ne semble créer de problèmes majeurs. Les avantages de la décentralisation sont connus : déléguer la prise de décision aux échelons qui possèdent plus d’information, la rendre mieux adaptée aux préférences locales, et apprendre des diverses expériences locales.

La plupart des Etats ont adopté une stratégie qui combinait la contrainte (le retour à l’emploi, un niveau de revenu minimum bas, limitation de la durée de perception à cinq ans sur toute une vie) et les aides (aide à la garde d’enfants, subventions aux bas salaires étendues, gratuité de certains coûts liés à l’emploi comme le transport). Les résultats sont spectaculaires avec une baisse de 60% des récipiendaires entre 1994 et 2001 et une augmentation de moitié du taux d’emploi des mères célibataires sans diplôme (de 40 à 60%), tandis que celui des mères célibataires diplômées restait à peu près stable (autour de 80%). En 1995, les mères célibataires (de tous niveaux d´éducation) recevaient 16% de leurs revenus sous forme d’aides publiques ; en 2002, elles n’étaient plus que 4%, mais entre temps, la part de leurs revenus tirée de l’emploi est passée de 56% à 67%. Enfin, leurs revenus ont augmenté de 15% en termes réels. Ce n’est pas le Pérou, mais le contraste avec leur stagnation dans les dix années précédentes est encourageant.

Ces réussites ne doivent pas faire oublier les aspects plus négatifs. Les Etats se sont rapidement aperçu que quoi qu’il arrive, un pourcentage non négligeable de bénéficiaires ne pouvait pas retrouver ou garder un emploi stable. Ils ont alors ajouté une clause dite de work-ready, selon laquelle ces personnes sont exemptes de l’obligation de retrouver un emploi. Ce qui suppose bien sûr d’être capable de les repérer d’une façon fiable. Leur revenu reste faible : environ un tiers de moins en pouvoir d’achat que le RMI en France. Il ne fait toujours pas bon être né dans un tel foyer.

Le boom de l´économie à la fin des années 1990 a permis à la réforme de passer sans trop de douleur. Il est intéressant de constater que le ralentissement (très relatif !) depuis 2001 n’a pas tellement dégradé les résultats atteints.

Quelles peuvent être les leçons pour la France ? Il me semble qu’elles sont trois.

Tout d’abord, l’aide (comme la prime pour l’emploi, pour autant qu’elle encourage effectivement la reprise d’emploi) ne suffit pas. Il faut reconnaître que la contrainte a aussi un rôle important à jouer, surtout dans un pays où le welfare est nettement plus généreux qu’en Amérique.

Ensuite, la reprise d’emploi a des coûts (garde d’enfants, transports...) qu’il faut aussi subventionner – on fait plutôt le contraire en France avec la gratuité de certains services publics pour les chômeurs. Notre système de crèches, très développé, devrait nous donner un avantage en ce domaine.

Enfin, inciter les peu qualifiés à reprendre un emploi ne sert pas à grand chose s’il n’y a pas d’emplois disponibles pour eux. Il faut donc créer les conditions nécessaires en poursuivant la politique d’allégements de la fiscalité sur le travail non qualifié, malheureusement remise en cause par certaines conséquences inattendues des 35 heures. Ce seul axe, suivi avec constance, aurait à mon sens un impact beaucoup plus favorable que les divers contrats mis en œuvre ces dernières années.