Le discret aggiornamento de la Commission Européenne edit

23 novembre 2016

La Commission Européenne vient de publier une communication, une déclaration formelle soumise aux pays membres, sur la politique budgétaire. Cette communication fait partie de la lourde machinerie du pacte de stabilité (et de croissance), après analyse des projets soumis par les pays membres. Elle contient le ronronnement habituel sur la nécessité de respecter les limites des déficits et quelques critiques vis à vis de ceux qui ne le font pas (dont la France). Mais, au détour d’un paragraphe, on y trouve un véritable aggiornamento, même un chemin de Canossa.

La Commission reconnaît que ses recommandations passées ont eu un effet négatif sur la croissance en 2011-2014, ce que déniaient à l’époque le Président Baroso et le Commissaire Rehn, en charge de cet exercice. Ceux qui ont critiqué à l’avance cette approche austéritaire, responsable d’une deuxième récession après 2008, ont le sentiment pénible d’avoir eu raison. La communication reconnaît aussi que la reprise en cours est « mitigée » et « tarde à s’accélérer ». Elle accuse réception des demandes incessantes de la BCE à être soutenue dans ses efforts de relance par une politique budgétaire, demandes qui ont été jusqu’alors superbement ignorées. Elle admet que ses admonestations rituelles en faveur de réformes structurelles font face à « une grande lassitude » et ne peuvent donc plus être présentées comme la seule source de croissance. Bref, nous assistons peut-être à la naissance d’une autre Commission, une sorte de normalisation étant donné c’est ce que disent depuis un bon moment bien des économistes, le FMI, le G7, le G20 ou l’OCDE.

Sur le fond, elle est prudente. Elle propose une relance de l’ordre de 0,5% du PIB de la zone euro. Ce n’est pas rien, mais ça reste le bas de la fourchette du souhaitable. Elle n’encourage pas tous les pays à ouvrir les vannes du budget, mais l’appel du pied à l’Allemagne est transparent. Elle ne se prononce pas clairement sur le choix entre augmenter les dépenses publiques ou réduire la pression fiscale. Elle reconnaît une « tension » entre cette approche et les obligations légales du pacte de stabilité (et de croissance), mais elle conclue que « des arbitrages sont toutefois possibles […], mais ils relèvent en définitive d’une appréciation au niveau politique. » Rien, bien entendu, sur l’inefficacité du pacte depuis la création de l’euro, tout juste une demi-admission qu’il a eu un effet négatif sur la croissance et le chômage.

On ne peut pas lui reprocher sa prudence. Cette communication va à l’encontre de la position allemande, qu’elle a pieusement respectée durant des années. D’ailleurs, Wolfgang Schaeuble, le ministre allemand des Finances, a immédiatement exprimé sa désapprobation et a invité la Commission à s’occuper de ses obligations de faire appliquer le pacte de stabilité (et de croissance). De fait, la Commission a finalement répondu favorablement aux demandes répétées de Renzi, le Premier Ministre Italien, mollement soutenu par la France, et aux dérives espagnoles et portugaises.

Pourquoi maintenant ? Pour quels résultats ? Cette communication a été vraisemblablement préparée avant les élections américaines. Inutile donc d’y voir directement un « effet Trump », même si la macération de l’électorat américain a pu encourager une évolution. On aimerait y voir une illumination de la Commission qui, confrontée à une reprises pour le moins décevante, a fini par comprendre comment fonctionne une économie. C’est peu vraisemblable. La Commission est une instance intensément politique et elle dispose d’un staff compétent. L’explication ne peut être que politique.

Dire que l’Europe est en crise n’est pas très original. Entre le Brexit, le risque d’éviction de Renzi, la menace du Front National, la montée en puissance de partis politiques anti-Europe un peu partout, y compris en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas et ailleurs, la Commission ne peut qu’être très inquiète. Elle paraît avoir conclu qu’il était temps de se préoccuper des 21 millions de personnes officiellement au chômage dans l’Union, pas dans 10 ans, mais maintenant. Les réformes de structure, c’est bien, mais ça prend beaucoup de temps alors que, dans ce climat politique nauséabond, il faut faire repartir la croissance européenne, tout de suite. La BCE fait ce qu’elle peut, mais de son propre aveu, seule elle n’y arrive pas. L’heure devait toujours être à la relance. C’est bien tard, mais mieux vaut tard que jamais.

On va voir une attitude plus tolérante à l’égard des dépassements des injonctions du pacte de stabilité (et de croissance). Voilà qui correspond à ce qu’annoncent les candidats Républicains en France, et ce n’est pas un hasard. L’Espagne et le Portugal, identifiés comme conduisant des politiques « non conformes », vont pouvoir souffler un peu. Mais l’Allemagne ? Dans une certaine mesure, elle a déjà relâché sa rigueur, pour cause d’immigration massive. Il est peu probable qu’elle aille beaucoup plus loin avant des propres élections générales à l’automne prochain. Si alors Schaeuble n’est plus ministre des finances, on peut espérer plus, mais il va falloir attendre.

Cette petite révolution copernicienne bruxelloise est un des rares signaux positifs à l’horizon, si elle est confirmée dans les actes. Il est peu probable que ses effets bénéfiques soient suivis d’effets immédiats et donc ressentis dans le douze mois qui viennent. Mais la Commission mérite d’être félicitée pour avoir revu sa copie et, ce qui est rarissime, pour avoir reconnu, même à demi-mot, ses errements.