La lente dégringolade de la France edit

8 novembre 2013

 

Et voilà, la note de la France par Standard & Poors a été dégradée. Un coup de canif sous Sarkozy, un coup de canif sous Hollande. Àchaque fois, l’explication est la même : pas de croissance suffisante en vue, pas de réformes sérieuses en cours.

Ceci n’est qu’un aspect presque anecdotique de la focalisation de nos présidents sur une politique d’austérité budgétaire. Les mêmes causes produisent les mêmes effets et les « prévisions » optimistes du président (croissance, baisse du chômage) ne convainquent ni les Français, ni les marchés financiers. Les premiers se serrent la ceinture, ce qui est normal. Les seconds comprennent que le gouvernement ne comprend rien à leurs inquiétudes. L’austérité est destinée à réduire le déficit pour donner un gage d’orthodoxie financière aux marchés, mais ceux-ci savent bien que l’austérité empêche la croissance et que, sans croissance, il est impossible de stabiliser la dette publique. Ah, oui, les Anglais font encore plus d’austérité, mais ils disposent eux d’un taux de change qui s’est suffisamment déprécié pour doper leurs exportations.

Il faudra un jour comprendre pourquoi deux présidents se sont fait capturer par le lobby pro orthodoxie budgétaire. Les amis banquiers ? Bercy ? Bruxelles ? Berlin ? Sarkozy, au moins, avait mis l’accent sur la réduction des dépenses publiques, même s’il avait brisé un peu sa promesse de ne pas accroître la pression fiscale. La réduction de la très pléthorique fonction publique constituait en soi une réforme fondamentale dans le pays vice-champion du monde en la matière. En renversant la vapeur à travers une orgie d’augmentation des prélèvements obligatoires, Hollande a provoqué un début de révolte anti-impôts. Si cette révolte porte des fruits, au moins aura-t-il mis en place à son insu les conditions de l’essentielle réduction du poids de l’État dans l’économie française. Ce serait un paradoxe, bien sûr, que de voir François Hollande amorcer la décrue que la droite appelle de ses vœux, et ce contre l’instinct de son électorat. Mais il vient un moment où les réalités économiques reprennent le dessus : des dépenses publiques souvent improductives (les rapports de la Cour des Comptes nous le signalent régulièrement) et une fiscalité étouffante freinent la croissance et sont une cause directe du chômage de masse dont souffre la France. C’est donc une question de culture de gouvernement, comme le notait récemment Gérard Grunberg sur Telos.

L’abaissement de la note de la France est également justifié, selon Standard & Poors, par la quasi-absence de réformes économiques, également nécessaires pour atteindre un taux de croissance décent. La longue liste des réformes dues depuis longtemps a fait l’objet de quantités de rapports, y compris le Rapport Camdessus (2004), le Rapport Pébereau (2005), le Rapport Attali (2008) et le Rapport Gallois (2012), sans mentionner les nombreux rapports de l’OCDE ou du FMI. Une touchante unanimité relève le mauvais fonctionnement du marché du travail, la lancinante question des  retraites, le coût des transferts sociaux, le trou permanent de la sécurité sociale, l’injustice d’une fiscalité-usine à gaz, l’échec de la très coûteuse Éducation nationale, etc. Les sujets ne manquent pas. Aussi divers soient-ils, ils ont cependant la caractéristique de faire partie des vaches sacrées de la gauche, tellement sacrées que même Sarkozy a avancé avec une prudence qui a tranché avec la « rupture » annoncée.

Ce genre de réformes sont politiquement douloureuses et ne produisent leurs effets bénéfiques que très lentement. Elles doivent donc être entreprises au début d’un mandat présidentiel, lorsque l’horizon est de cinq ans, voire dix ans. Hollande n’avait rien promis de tel durant sa campagne électorale et c’est donc très logiquement qu’il n’a rien fait. Mais cela signifie que la fenêtre de tir s’est maintenant refermée. Une vraie croissance, d’au moins 2% par an pour réduire le taux de chômage, est donc remise à beaucoup plus tard. Sans une telle croissance, la dette publique ne peut pas redescendre, du moins en pourcentage du PIB, qui représente les revenus des Français et donc la source à partir de laquelle la dette peut être honorée. Standard & Poors appuie là où ça fait mal.

C’est là le deuxième scandale de la politique d’austérité. Non seulement cette politique plombe puissamment la croissance à court terme (sur 2 ou 3 ans), mais elle absorbe aussi le capital politique dont a crucialement besoin tout président qui veut conduire des réformes économiques. Le plan d’austérité Fillon avait mis un terme à toute velléité réformatrice de Sarkozy. Sa continuation empêche désormais Hollande de prendre le moindre risque politique. De plus, le choix d’aggraver la pression des prélèvements obligatoires est allé exactement dans le mauvais sens. Il faudrait aujourd’hui prendre un virage à 180 degrés. Même si la cohérence des politiques économiques n’est manifestement pas une préoccupation de Hollande, un tel virage est probablement exclu. Comme son président, la France est parfaitement coincée.

Quelles conséquences ? Depuis le début de la crise de la zone euro, il y avait les pays trop endettés pour s’en sortir (Grèce, Portugal, Italie), les pays capables de gérer leurs dettes (Finlande, Allemagne, Pays-Bas, entre autres), et ceux pour lesquels le verdict était incertain. La France appartient à ce dernier groupe. La décision de Standard & Poors montre qu’elle glisse insensiblement vers le premier groupe. Les crises économiques éclatent brutalement, mais elles mûrissent lentement, très lentement. Le point de non-retour n’est peut-être pas encore franchi, mais il se rapproche inexorablement.