Électeurs : dormez bien, le réveil est pour bientôt ! edit

16 avril 2012

Les élections, qui risquent d’être marquées par une abstention record, devraient en réalité mobiliser. Le prochain gouvernement aura la lourde tâche de remettre nos finances publiques sur un sentier soutenable, ce qui demandera d’importants choix économiques et sociaux. Il devra faire face aussi au défi de réveiller et élever la croissance dans ce contexte budgétaire difficile. En outre, alors que la crise souveraine de la zone euro risque de perdurer, le prochain gouvernement devra aussi décider de l’évolution de la construction européenne et peut-être faire des pas décisifs en direction de plus d’intégration budgétaire. Enfin, les marchés, nos créditeurs, vont suivre ces élections : un ajustement serein de nos finances publiques, qui préserve la croissance de court terme, dépend de la confiance de nos créditeurs dans le projet du nouveau gouvernement et sa mise en œuvre. Leur défiance relèverait le coût d’endettement et nous imposerait un ajustement beaucoup plus rapide et douloureux pour la croissance.

Or nos partenaires européens (comme nos créditeurs) ont des préoccupations à la fois sur l’avenir de l’Europe et les perspectives de croissance économique, des sujets qui n’ont pas fait l’objet de beaucoup de discussion dans cette campagne. Alors que le reste du monde (pays du G20, FMI par exemple) s’inquiète quotidiennement des fragilités de la zone euro, de la contagion possible de la crise souveraine des pays du sud et de l’impact que cela pourrait avoir sur la zone euro dans son ensemble, ces questions ont été largement absentes des débats. Alors que nos voisins du Sud, après nos voisins du Nord dans les années 90, s’attachent à repenser et réformer leurs marchés du travail, les règles de concurrence sur le marché des produits pour essayer d’accroître le potentiel de croissance, les réformes de structure n’ont pas fait l’objet de débat pendant la campagne. Enfin, l’avenir de l’Europe et les possibilités d’intégration budgétaire, de plus de centralisation des décisions au niveau Européen n’ont pas été évoqués.

Cela pose trois questions : quelle va être la stratégie de croissance du prochain gouvernement et quelles réformes cette stratégie implique-t-elle ? S’apprête-t-on à réformer les marchés du travail comme nos voisins ? Les professions ? Plus ou moins d’ouverture à la concurrence ?

Quelle sera la stratégie d’ajustement des dépenses publiques ? Aujourd’hui elles sont les plus élevées de la zone euro à 56% du PIB. Alors que les effets du vieillissement vont augmenter mécaniquement ces dépenses, il serait illusoire de penser que toute la sphère des dépenses sera protégée dans les années futures. A l’inverse, il s’agit de faire des vrais choix de dépenses prioritaires pour préserver l’essentiel : l’éducation, les dépenses de capital humain en général. Il s’agit également de faire évoluer notre système social créé il y a plus de 50 ans pour l’adapter a la démographie, à la structure de la société et de la famille d’aujourd’hui. Quelles sont les intentions du futur gouvernement en matière européenne ? A-t-il l’intention de pousser l’intégration européenne dans un sens plus fédéral par exemple ?

Sur ces trois points les programmes sont plutôt évasifs. En matière budgétaire, il n’y a que très peu de discussion sur l’évolution de notre système social, et les priorités du nouveau gouvernement en matière de dépenses. Reconnaissons qu’il y a plus d’appétit pour augmenter les impôts, ce qui est plus facile puisque cela touche moins de personnes. Pourtant, la réforme des retraites engagée a l’été 2010 n’a résolu qu’une partie de l’équation et nos partenaires européens vont nous demander, dès le printemps, quels sont nos engagements en la matière. A cet égard, le cas de l’Europe est frappant : il n’y a eu aucun débat sur les engagements européens actuels (et futurs). Et pourtant, il va falloir s’attacher à mettre en œuvre une règle budgétaire qui va contraindre les choix de finances publiques. La discussion des budgets et des réformes vont maintenant se faire dans le cadre européen. Les deux grands candidats ont évoqué l’idée d’Eurobonds, qui consisterait à mutualiser une partie de nos dettes, mais cela ne peut se faire sans plus d’engagement européen, c’est-à-dire sans transferts de souveraineté du gouvernement national vers l’Europe.

Tous ces débats vont cependant s’imposer très vite après les Présidentielles. Les premières mesures du prochain gouvernement risquent alors de surprendre toutes les parties prenantes : les citoyens d’abord, si ces mesures ne sont pas en ligne avec les programmes, nos partenaires européens qui s’inquiètent des intentions de la France en matière de construction européenne, les marchés enfin qui sont nos créditeurs.

Sur les finances publiques, d’abord, le peu de débat sur la méthode d’ajustement pourrait révéler des surprises. Le cas des retraites est un bon exemple. Revenir sur la reforme des retraites, sans annoncer de projets futurs pour l’avenir du système de retraites n’enverrait pas un bon signal de volonté d’ajuster les finances sur la durée. Nos partenaires européens comme nos créanciers s’en inquiéteraient. A l’inverse, accompagner cet amendement d’une manifestation de réformer les retraites plus largement fera des « perdants » qui n’y sont pas préparés : les citoyens seront déçus.

Sur l’Europe ensuite. Nos partenaires européens attendent une vision de l’Europe en provenance de France, de même qu’un respect des accords passés par le précédent gouvernement, comme la tradition le veut. Revenir sur les accords passés les surprendrait. Mais mettre en œuvre la règle budgétaire comme ce gouvernement s’y est engagé risque de surprendre citoyens et parlementaires, de droite comme de gauche en regard de l’absence de discussions sur ce sujet. C’est tout de même un peu de souveraineté qui va être transféré à nos partenaires européens.

Enfin la croissance. A court terme l’ajustement budgétaire que le prochain gouvernement aura à mettre en œuvre va affaiblir la croissance – ce pour quoi nous ne sommes pas nécessairement préparés. Et les débats n’ont aucunement porté sur la stratégie de moyen terme. A ce propos : que pensent nos (futurs) dirigeants de la stratégie qui a été appliquée en Allemagne et l’est maintenant en Italie et en Espagne ? Est-ce la bonne stratégie de croissance (auquel cas les citoyens que nous sommes n’y ont pas été préparés), ou non ? – et dans ce cas pourquoi la promouvoir dans les rencontres ministérielles et de chefs d’Etat européens.

Dormons encore un peu car le réveil sera dur, très dur.