Les révolutions arabes vues par les Arabes edit

27 novembre 2011

Nous disposons aujourd’hui de la première étude d'opinion relative à la perception qu’ont les populations arabes du «printemps arabe». Ce sondage, réalisé par l’université du Maryland et rendu public le 21 novembre, a été conduit en octobre dernier au Liban, en Égypte, en Jordanie, au Maroc et aux Émirats Arabes Unis.

Rétrospectivement, la grande majorité des sondés (57%) voit dans le printemps arabe un soulèvement authentique pour la dignité et la liberté, loin des calculs politiques ou partisans et de l’influence des puissances étrangères. Si la plupart d'entre eux se déclarent optimistes quant à l’avenir du monde arabe après les révolutions (55%), les Égyptiens semblent plus inquiets et craignent que l’armée revienne en arrière (43%). Ce qui se passe actuellement sur la place Tahrir confirme cette appréhension.

Les Arabes affichent un soutien fort aux révolutionnaires. Ils expriment leur soutien aux révolutionnaires au Yémen (89%), en Syrie (86%) et au Bahreïn (64%). Toutefois, il est à noter que la perception des opposants et la sympathie à l’égard des révolutionnaires varie d'un pays à l'autre.Ainsi, les populations des Émirats Arabes Unies sont plutôt défavorables aux opposants du Bahreïn ; les Libanais sont divisés sur l’attitude à adopter à l’égard des rebelles en Syrie ; de la même manière, les Jordaniens sont divisés sur le Bahreïn ; et enfin, le soutien des Égyptiens aux opposants du Bahreïn est nettement plus faible que celui qu’ils affichent à l’égard des révolutionnaires yéménites et syriens. À cela une explication simple. Si la contestation au Bahreïn fait l'objet d'un soutien beaucoup plus faible c'est tout simplement parceque à tort ou à raison elle est identifiée à un soulèvement chiite susceptible de porter atteinte à la domination sunnite. Le sentiment partagé des Libanais , tient probablement au fait que certains chiites et certains chrétiens sont pour des raisons très différentes plutôt favorables au statu quo. Ils craignent qu'une victoire des islamistes en Syrie les fragilise.

Les révolutions ont affecté l’image que les populations arabes se font des puissances étrangères, régionales et internationales. La Turquie est incontestablement la grande gagnante de ces évènements : 50% des populations interrogées dans les cinq pays estiment que la Turquie a « joué le rôle le plus constructif » dans le printemps arabe. Son Premier Ministre, Recep Tayyip Erdoğan, fait l’objet d’une grande admiration comparé aux autres leaders régionaux et mondiaux: la majorité des Arabes souhaiteraient ainsi que le futur président égyptien ressemble au leader turc. Aussi, les populations égyptiennes interrogées semblent fortement attirées par le « modèle politique turc », puisque la majorité (44%) d’entre elles espèrent que leur nouveau système politique soit similaire au système turc plutôt qu’à d’autres systèmes arabes ou occidentaux.

Quant à la France, elle est perçue favorablement : elle occupe le second rang après la Turquie pour le « rôle constructif » qu’elle a joué dans les évènements du printemps arabe. Toutefois, ce résultat est à nuancer : si les Tunisiens avaient été interrogés, il est probable que le résultat eût été différent car l'attitude de la France n'a pas été bien perçue. Il n'est d'ailleurs pas sûr que cette perception est été modifiée qu'en pensait l'extrême lenteur avec laquelle les autorités françaises ont réagi aux résultats des élections tunisiennes, probablement parce que celles-ci ont vu la victoire des islamistes.

Malgré pourtant le très fort soutien des populations d'Arabes au mouvement révolutionnaire et au rejet massif des anciens régimes, la réticence à accepter des interventions extérieures demeure encore très forte. En effet, l'intervention en Libye n'est pas plébiscitée n'est pas plébiscitée : la majorité des populations interrogées dans les cinq pays (46%) considère que l’intervention en Libye était « une erreur ». Le traumatisme irakien demeure donc vif, même si à l'évidence les situations sont totalement différentes puisque dans le cas libyen il ne faut jamais oublier le fait que la Ligue Arabe y a donné son accord.

L’attitude des Arabes à l’égard des États-Unis et de l’administration Obama a considérablement varié au cours des deux dernières années. S’il est indéniable que la majorité des populations de la région continuent à avoir une perception défavorable des États-Unis (56%), il n’en demeure pas moins que leur vision négative a évolué et fluctué : ainsi, en 2009, la cote de popularité du président américain est relativement haute dans la région (39%); elle diminue nettement en 2010 (19%), puis augmente à nouveau en 2011 (34%). Cette variation ne s'expliquer que par le contexte régional et les choix américains : après son discours du Caire de juin 2009, les Arabes ont mis beaucoup d’espoir lui et cru à un nouveau rôle des États-Unis dans la région . L'année 2010 s’est soldée par un échec des négociations pour la paix, entrainant une chute de la popularité du président.En 2011, le regain de popularité est lié à la réaction américaine face au « printemps arabe ». En effet, un quart des sondés estiment que les États-Unis ont joué le « rôle le plus constructif » dans les évènements de la région.

Le conflit israélo-palestinien demeure central dans toute perception arabe de la puissance américaine. Ainsi, à la question : « quelles seraient les deux actions menées par les États-Unis qui amélioreraient votre perception de ce pays ? », la majorité écrasante des sondés répond «la réalisation d’un accord de paix israélo-palestinien » (55%) et « la suspension de l’aide à Israël » (42%).

Toutefois, si les Arabes se déclarent majoritairement « préparés à la paix avec Israël sur la base de deux États et sur les frontières de 1967 » (67%), ils sont néanmoins pessimistes quant à l’avenir du conflit et considèrent qu’une paix durable entre Israéliens et Palestiniens est peu probable et que le « statut quo continuera ».

Enfin, sur le dossier iranien, les attitudes sont assez contrastées. D’une part, la proportion d’Arabes qui considèrent l’Iran comme une menace a augmenté de 6 points entre 2009 et 2011, et une majorité estime que l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran aurait des conséquences négatives sur le Moyen-Orient. D’autre part pourtant, une grande majorité de la population arabe (64%) estime que l’Iran a droit au nucléaire et ne devrait pas subir des pressions internationales pour arrêter son programme d’enrichissement. Ces résultats contrastés peuvent être expliqués par la politique de « deux poids – deux mesures » à laquelle les Arabes font souvent référence pour critiquer les attitudes occidentales : s’ils sont nombreux à être conscients des dangers que poserait un Iran nucléarisé dans la région, les Arabes considèrent néanmoins que l’enrichissement nucléaire iranien est légitime tant que les puissances occidentales permettront à Israël de détenir l’arme nucléaire. Parce que la parole s'est libérée dans le monde arabe, véritablement pour la première fois en mesure de l'évaluer dans toute sa diversité et avec ses inévitables contradictions.