Criminalité: faut-il avoir peur des immigrés? edit

10 février 2010

Silvio Berlusconi a récemment fait scandale en associant les chiffres de l’immigration et ceux de la criminalité. Depuis la polémique fait rage en Italie… mais personne ou presque ne regarde les statistiques. Celles-ci sont pourtant disponibles sur le site de l’Insee cisalpin, l’Istat. D’un côté des Alpes comme de l’autre, il est utile de s’y référer, et plus utile encore de les analyser soigneusement.

En marge du Conseil des ministres qui s'est tenu la semaine passée à Reggio Calabra, Silvio Berlusconi a soutenu que « la diminution du nombre d’étrangers extracommunautaires signifie que moins de forces vont grossir les rangs des criminels ». Le président du Conseil n’a pas fourni de données pour soutenir une affirmation ainsi marquante, pas plus que les nombreux commentateurs qui se sont aventurés dans les médias nationaux. Il est curieux par exemple que Giovanni Belardelli, dans le Corriere della Sera du 31 janvier, reproche à la Conférence épiscopale italienne (CEI, un acteur important du débat public en Italie), qui avait contesté les thèses du président du Conseil, de « ne pas regarder les chiffres », alors que dans son propre article il n’y a pas l’ombre d’un nombre, mais seulement des références de deuxième ou de troisième main. Et il fait même référence à l'idéologie des institutions qui ont fourni ces données, comme si les statistiques étaient de droite ou de gauche.

Il est surprenant que personne n'ait senti la nécessité de consulter les statistiques, pourtant publiques, avant de commenter les déclarations de Silvio Berlusconi. Or elles sont instructives.

Examinons tout d’abord s’il existe un rapport entre la dynamique de la population immigrée et celle du nombre de crimes dénoncés à l’autorité judiciaire. Les titulaires d’un permis de séjour ont augmenté de 500 % depuis 1990, passant de 436 000 à 2 286 000, mais les taux de criminalité (nombre de crimes pour 100 000 habitants) sont restés presque inchangés. On rejoint la même conclusion en observant la dynamique des deux variables au niveau régional. En particulier, dans les régions du Nord qui sont caractérisées par des flux migratoires plus intenses, le taux de criminalité est resté presque inchangé (Lombardie et Vénétie) ou il a diminué significativement (Émilie Romagne).

Donc, les statistiques disponibles suggèrent que l'augmentation pourtant significative de l’immigration n'a pas mené à une augmentation significative des crimes. Cela dément les affirmations du président du Conseil : il n'est pas vrai que l'immigration a rendu nos villes moins sûres.

Peut-être Silvio Berlusconi a-t-il été induit en erreur par les données sur la population carcérale par nationalité. Les statistiques sur ce sujet montrent en effet que depuis la fin des années 1990 jusqu’à aujourd'hui la proportion d’étrangers sur le total des détenus a été toujours supérieure à leur poids dans la population italienne. En particulier, plus d'un détenu sur trois est étranger, alors que les immigrés ne représentent qu’un peu moins de 10% de la population.

Ce sont des chiffres qui frappent. Mais ces données sont toutefois biaisées par le fait qu’une large partie des étrangers, surtout irréguliers, ne peut accéder aux mesures alternatives à l’incarcération, comme la liberté surveillée, puisqu’ils ne possèdent pas de certificat valide de résidence. Les statistiques refléteraient ainsi au moins partiellement une plus grande probabilité de finir en prison après avoir commis un délit, plutôt qu’une différence significative dans la propension à commettre un crime.

L'insoutenable longueur des procès en Italie, et par voie de conséquence la durée de la détention préventive chez ceux qui y sont soumis, pourrait dans le même esprit être un facteur significatif de la surreprésentation des étrangers dans la population carcérale. Les données fournies par le ministère de la Justice confirment que plus de la moitié des détenus étrangers (57%) est en attente de jugement, alors que c’est le cas de 42 % des détenus italiens seulement.

Ces deux éléments amènent donc à relativiser la signification des statistiques. Et du point de vue de l’économiste du travail que je suis, il y a encore une autre explication possible de la surreprésentation des étrangers au sein de la population carcérale : exactement comme c’est le cas dans l’économie légale, dans différentes activités criminelles les immigrés sont de simples substituts aux Italiens ; retirez les immigrés et vous verrez leurs postes occupés par des Italiens ! Emblématique est le cas du trafic de stupéfiants, passé en large partie du contrôle des organisations italiennes aux organisations étrangères, surtout en ce qui concerne l'activité de vente. Est-il besoin de dire cela n’induit aucune augmentation significative sur le nombre de délits ? Le problème, c’est la criminalité, ce n’est pas les étrangers.

Une version italienne de ce texte est publiée sur le site de notre partenaire La Voce.