Migrations maritimes: ouvrir les possibles, penser les solutions edit

16 juillet 2015

Dans la continuité du précédent article Les migrations maritimes ou l’insupportable ressac, il s’agit ici de présenter un panorama critique et non exhaustif des diverses solutions alternatives à la (non)politique migratoire européenne qui démontre quotidiennement ses limites (l’impossible accord sur un accueil partagé de réfugiés en est  encore une à ce jour) et sa perniciosité. Ces solutions, allant de simples ajustements techniques des dispositifs de contrôle qui existent déjà à des mesures radicalement progressistes, sont portées par une multitude d’acteurs issus de la société civile, de la recherche, du monde politique et d’organisations internationales.

« Endiguer les flux croissants de migration illégale », ou le recadrage néfaste et malheureux d’une politique sécuritaire en crise
Sans surprise, le Conseil européen (dont la mission est de définir les orientations et les priorités politiques générales de l’UE), a approuvé le 22 juin dernier le lancement de l’opération militaire EUNAVFOR MED destinée à lutter contre les passeurs et les trafiquants d’être humains en Méditerranée. Ses actions se déclinent en trois phases : surveillance et évaluation des réseaux de passeurs, interception de navires suspects en haute mer, et neutralisation définitive des embarcations des passeurs sur les côtes, libyennes notamment. Le passage de la première phase aux deux suivantes est conditionné à l’approbation du Conseil de sécurité de l’ONU et à l'accord des États côtiers concernés.

Cette résolution, certes inédite, mais douteuse quant à la réalisation de ses objectifs, est très critiquée : relevons par exemple les propos de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui déclare dans son rapport intitulé Addressing Complex Migration Flows in the Mediterranean: IOM Response Plan de juin 2015 être « très préoccupée par la militarisation de la gouvernance des migrations » et craint que « la protection des migrants vulnérables, des réfugiés et des demandeurs d’asile ne soit compromise ». Par ailleurs, nombre d’acteurs (associatifs, chercheurs, personnalités politiques) s’interrogent sur le probable effet temporaire (à long terme, les réseaux de trafiquants risquent de se reformer) et sur le coût (estimé à 11,82 millions d'euros pour une phase de démarrage de deux mois qui vient s’ajouter au budget déjà colossal de la mission « Triton » de Frontex) d’une telle campagne militaire d’un mandat initial d’un an.

Faire payer les visas pour concurrencer les passeurs : une proposition mercantile?
En parallèle à ce démantèlement des réseaux de passeurs, des économistes (les chercheuses E. Auriol et A. Mesnard) plaident pour la solution pragmatique d’un élargissement de l’offre de visas européens et ainsi pour une large « légalisation » de migrants dits « économiques ». La théorie repose sur la nécessité démographique de renouveler le stock de travailleurs de certains secteurs de l’économie de l’UE (BTP et travaux agricoles tout particulièrement). Leurs travaux montrent qu’une telle initiative permettrait à la fois de mieux contrôler les flux migratoires (les États auraient une idée précise de « qui » entrent sur leur territoire) et d’éradiquer le business des trafiquants et passeurs qui profitent de l’actuelle économie de la prohibition. En établissant un système concurrentiel (vendre les visas à des prix inférieurs au coût des entrées « clandestines » tout en considérant les migrants non pas seulement comme les victimes des passeurs mais aussi comme des consommateurs actifs du passage), les États pourraient par là-même réinvestir l’argent gagné dans une lutte sévère contre l’emploi au noir de la main-d’œuvre étrangère, ce qui pour les chercheuses, au-delà d’assurer des droits fondamentaux aux migrants et de rendre visible leurs contributions aux économies des pays d’accueil, animerait assurément le mécontentement de certains employeurs peu scrupuleux mais diminuerait aussi les tentatives de venir en Europe sans visa.

De la migration à la « bonne mobilité » : ouvrir les frontières au nom du développement économique
Dans la même veine, l’Organisation des Nations unies (ONU) et les organisations intergouvernementales (Organisation internationale du travail, OIM, etc.) militent (a contrario des États) pour une valorisation du paradigme d’une mobilité vectrice de développement : la circulation des migrants doit être perçue de manière optimiste et comme bénéfique à la fois pour les sociétés de départ (les transferts financiers des migrants vers leurs familles – qui représentent globalement trois fois le montant de l’aide officielle au développement versé par les pays occidentaux – sont mis en avant), d’accueil (régularisation des conditions de travail et captation de la contribution salariale des migrants) et pour les migrants eux-mêmes (qui pourraient aller et venir sans dangers). Ainsi, l’OIM certifie qu’il est « essentiel d’encourager un changement du discours public et politique sur les migrations, en reconnaissant que la migration est un processus à gérer et non un problème à résoudre » avant d’ajouter : « la migration ne peut pas et ne doit pas s’arrêter, elle est indispensable pour la croissance et le développement des deux rives de la Méditerranée ».

Comme l’indique encore récemment le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme des migrants François Crépeau, il faut tirer les leçons de l’échec des politiques répressives : « c’est quand même paradoxal qu’au nom du contrôle des frontières, on perde le contrôle de la frontière au profit des passeurs » (Radio Télévision Suisse, 16 juin 2014) pour œuvrer dans le sens d’une ouverture des contrôles des frontières via des mécanismes incitatifs à se « présenter en toute légalité aux gardes-frontières » ; il donne par exemple la solution concrète d’une instauration d’un visa de cinq ans, autorisant cinq entrées en Europe et quatre mois pour trouver un travail, ce qui permettrait aux migrants de circuler en fonction des opportunités d’emploi au sein de l’UE et d’effectuer des allers-retours entre l’Europe et leur pays d’origine pour redéfinir leur projet migratoire.

Dans ce cadre, la mobilité n’est donc pas véritablement appréhendée comme un droit mais comme une politique économique de croissance mutuelle dans laquelle comme l’indique le chercheur Antoine Pécoud dans un article récent paru dans Ethique publique : « la liberté de se déplacer est subordonnée aux conséquences économiques de ces déplacements ».

Bouleverser nos référentiels et sérieusement penser la liberté de circulation
Depuis aussi longtemps que les dispositifs coercitifs européens sont en place, de nombreux chercheurs issus d’institutions universitaires reconnues (Science Po, EHESS, Migrinter, etc.) dont les idées sont relayées par des membres de réseaux associatifs (No border, Migreurop, le Groupe d’intervention et de soutien aux immigrés - Gisti, etc.) proposent des mesures radicalement différentes et montrent qu’il n’est pas absurde d’envisager une liberté totale de circulation. S’appuyant sur la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et notamment sur son article 13 qui affirme le droit de quitter son pays, les chercheurs font les constats suivants :
- la fermeture ou l’ouverture des frontières ne détermine pas le choix de migrer en revanche elle conditionne la dangerosité et le coût des trajectoires, les mobiles d’un départ sont d’ordre structurel.
- Au regard des politiques européennes les migrants « clandestins » demeurent paradoxalement enfermés à l’intérieur des États de l’UE (ne pouvant y revenir s’ils en sortent).
- Aucune recherche scientifique et empirique n’établit le fantasme de « l’appel d’air ». Au contraire, les travaux de l’équipe de recherche MOBGLOB (mobilité globale est gouvernance des migrations) indiquent qu’une ouverture globale des frontières ne conduirait pas à une explosion des arrivées en Europe.

- La libre circulation est une réalité dans différents espaces régionaux (comme l’UE).

- Enfin, les chercheurs notent l’absence d’un discours politique clair et précis venant contrecarrer celui diffusé par l’extrême droite reposant sur des idées fausses assimilant par exemple l’immigré à un profiteur de prestations sociales et à un voleur de travail, alors même que les recherches explicitent leur apport économique.

Pourquoi les responsables politiques ne prennent-ils pas en compte les études élaborées par les chercheurs pour redéfinir les lignes globales d’une politique migratoire ?