L’impalpable haine de l’Europe edit

4 juillet 2016


« Il faut refonder l’Union européenne », « rien ne doit plus être comme avant »... À la suite du référendum britannique, de Jean-Marie Cavada à Nicolas Sarkozy, de François Hollande à Jean-Luc Mélenchon, ces phrases résument la réaction la plus fréquemment entendue. À l’évidence, si les mêmes mots peuvent être prononcés par des personnes aussi différentes, c’est bien qu’ils ne sont qu’un écran, qu’ils se réfèrent implicitement à des éléments qui échappent aux mots. Mais à quoi précisément ?

C’est bien toute la question car on serait bien en peine ces jours-ci d’associer des mesures concrètes permettant de donner de la substance à ces appels vibrants à une refondation de l’Union européenne. Un nouveau traité, comme le propose Nicolas Sarkozy ? Pourquoi pas, mais pour y mettre quoi ? Une Europe plus sociale, moins bureaucratique, plus innovante, plus démocratique, développant les emplois ? Bien sûr... Mais qui ne souscrirait à un tel programme et fallait-il vraiment un Brexit pour y penser ?

Cela pourrait faire sourire si cela ne traduisait pas en réalité une immense difficulté à comprendre le projet européen. Un vide partagé autant par ses opposants que par ses défenseurs. C’est peut-être surtout cette absence de l’Union dans le débat politique qui fait naître et qui renforce l’euroscepticisme : si personne ne peut clairement dire pourquoi l’Union est nécessaire et en quoi elle est bénéfique alors il n’est guère étonnant de ne pas pouvoir souscrire à l’idée de lui transférer la moindre part de souveraineté. On a souligné à juste titre l’impréparation de Boris Johnson mais celle des pro-européens est encore plus inquiétante.

De tous les procès faits à l’Union européenne, celui de la bureaucratie et du développement de normes stupides est le plus fréquent. Mais il est bien difficile de donner des exemples précis de cette bureaucratie bruxelloise auxquels le citoyen européen serait confronté et qui disparaîtraient en cas de sortie de l’Union européenne. Certes des normes de production sont imposées mais celles-ci ne disparaîtraient pas en absence d’Union européenne car elles ne sont que le reflet de la complexité de la société dans laquelle nous vivons. Si les saucisses anglaises à haute teneur en matière grasse d’origine incontrôlée sont bannies c’est d’abord parce que nous souhaitons protéger le consommateur ! Si des quotas pour la pêche sont imposés, c’est que la ressource halieutique est limitée et le resterait en absence d’Union européenne. Les tenants d’une approche helvétique ou norvégienne de la relation à l’Union européenne ont une vision bien limitée de la souveraineté. Car si les compromis et les arbitrages entre différents intérêts auxquels on aboutit peuvent être contestables, il n’en reste pas moins qu’il vaut mieux être à la table de négociation que d’attendre dans le hall la fin des discussions.

Mais on peut comprendre que cette influence de l’Union européenne puisse susciter la méfiance ou les oppositions. Les négociations sont techniques, bien peu s’y intéressent. Il est certainement plus facile de construire des euromythes accablants pour l’Union : on en trouvera une liste impressionnante sur le site de la représentation permanente de la Commission au Royaume-Uni.

Ces mythes prospèrent parce qu’ils trouvent un terrain favorable, autrement dit qu’ils sont vraisemblables. Ils correspondent à l’image que les citoyens ont de l’Union européenne. Cette vraisemblance repose sur le fait que les négociations européennes semblent se dérouler dans un monde étrange et opaque. Mais cette opacité est due moins aux mécanismes mis en œuvre qu’à l’absence d’explications données par ceux qui y participent. Rappelons que les décisions ne sont pas prises par la Commission mais par le Conseil et le Parlement, et donc par des représentants élus des citoyens européens. La machine bruxelloise semble hors de contrôle du fait que ceux qui doivent faire le lien entre le niveau européen et le niveau national ne s’engagent pas suffisamment.

Tant que ce lien ne sera pas assuré, colère et ressentiment ne feront que se renforcer. L’Union incarnera les phobies de chacun : finance, marchés, concurrence, immigration, technocratie... De ce fait, proposer de nouvelles compétences européennes – défense, harmonisation sociale ou fiscale – ne peut être une réponse adaptée.

Esquissons quelques approches possibles d’une pédagogie de l’Union : dans un monde globalisé, aucun pays européen ne peut à lui seul avoir une influence réelle. Face à l’Amérique ou à l’Asie, nous ne pesons que si nous sommes unis. Pense-t-on pouvoir lutter contre l’acier chinois subventionné seuls ? Si la Cour de Justice n’avait pas sanctionné Google, imagine-t-on qu’une seule décision d’une Cour française ait pu faire plier le géant américain ? C’est cela l’Union européenne. Des décisions techniques qui nécessitent que l’on s’intéresse aux détails, à la mise en œuvre. Mais ces décisions sont celles qui nous protègent. Le message est assurément complexe, il suppose de montrer quels sont les enjeux sans se laisser aller à la facilité. Si une leçon doit être tirée du référendum britannique, c’est bien comme l’a souligné Jean-Claude Juncker, qu’on ne peut en quelques mois effacer des années d’Europe bashing. Il serait plus que temps d’amorcer cet exercice de pédagogie sans quoi une impalpable haine de l’Europe conduira à sa destruction progressive.