L’Europe, la Chine et le statut d’économie de marché edit

2 juin 2016

Le Parlement européen a récemment adopté une résolution rejetant la perspective que l’UE reconnaisse à la Chine le statut d’économie de marché. L’enjeu est loin d’être mineur.

Le statut d’économie de marché (MES, pour Market Economy Status) est un critère intégré dans les règles de l’Organisation mondiale du commerce et qui relève des procédures antidumping. Pour contrer les pratiques d’exportation d’un produit à un prix inférieur à celui normalement appliqué sur le marché intérieur, les pays importateurs sont autorisés à imposer des droits compensateurs, afin de rétablir la juste valeur marchande des marchandises importées. Le calcul exact de la différence entre le prix facturé dans le marché d’origine et le prix sur le marché d’exportation sert à la fois à démontrer le dumping et à déterminer précisément les droits qui seront appliqués, droits qui peut par ailleurs se transformer en un outil protectionniste.

La tâche devient encore plus complexe dans le cas des importations en provenance de pays comme la Chine, où les prix intérieurs sont influencés directement ou indirectement par l’État et peuvent parfaitement ne pas refléter la valeur marchande des biens considérés.

Pour cette raison, le Protocole d’accession de la Chine à l’OMC en 2011 autorise les membres de l’organisation à utiliser des méthodes de calcul « non standard », qui ne reposent pas sur les prix intérieurs chinois pour la détermination du niveau de dumping et des droits qui en découlent.

L’OMC ne fixe pas de critères uniformes pour la détermination du statut MES. Les membres de l’organisation sont libres de décider, en fonction de leurs règles internes, si la Chine est ou non une économie de marché et, par conséquent, si les prix sur son marché intérieur sont automatiquement considérés comme une base de calcul fiable dans les procédures antidumping.

L’Union européenne, par le règlement n°1225/2009, a défini de son côté cinq critères qui permettent d’attribuer ce statut à un partenaire commercial. Dans son dernier rapport disponible (2015), la Commission a déterminé que la Chine ne satisfait pas à cette condition, car elle ne répond pas à trois critères sur cinq. Le premier critère, en particulier, exige que les décisions des entreprises concernant les prix, les coûts et les intrants soient prises en réponse aux signaux du marché reflétant les conditions d’approvisionnement et de fourniture, sans interférence significative de l’État.

Pour compliquer la situation, le 11 décembre prochain verra l’expiration d’une clause du protocole d’adhésion à l’OMC portant sur le calcul de la marge de dumping, en l’absence de reconnaissance du MES, clause acceptée par la Chine lors de son adhésion parallèlement à un engagement à la transition vers une « économie (socialiste) de marché ». Pékin affirme son droit à une reconnaissance automatique du MES et annonce son intention de soulever la question dans le cadre du système de règlement des différends de l’Organisation. D’un point de vue juridique, le texte du protocole est ambigu et les effets de l’expiration de la clause en fin d’année sont incertains.

C’est dans ce contexte qu’a été votée récemment une résolution du Parlement européen qui a vu une écrasante majorité (546 pour, 28 contre et 77 abstentions) considérer que tant que la Chine n’a pas satisfait aux cinq critères fixés par l’UE pour établir une économie de marché, ses exportations devraient continuer à être traitées selon une méthodologie spécifique (« non-standard »). L’UE est le principal partenaire commercial de la Chine, mais les parlementaires craignent davantage l’impact sur l’Europe d’une réduction générale des droits antidumping que les contre-mesures probables que prendra la Chine sur ses importations de produits européens.

Une décision doit être prise avant la date limite du 11 décembre. Depuis la réforme du traité de Lisbonne, qui a introduit la procédure législative ordinaire pour les actes relatifs à la politique commerciale commune visant à modifier le règlement n°1225/2009 (sur la base duquel la Chine est exclue de la liste des pays MES), cette décision requiert un vote favorable du Parlement européen et du Conseil, sur proposition de la Commission.

La récente résolution du Parlement, en tant que telle, n’est donc pas contraignante. Mais elle affecte évidemment la politique que suivra la Commission. Selon la presse, cette dernière aurait été encline à approuver l’interprétation chinoise du Protocole et à accorder automatiquement au pays le statut d’économie de marché. Après la position claire prise par le Parlement, elle devra rechercher une autre solution. Par exemple, la reconnaissance du MES pourrait être limitée à des zones moins menacées par les importations chinoises, alors que les méthodes de calcul « non-standard » pourraient être conservées pour les plus vulnérables. Pour que la Chine considère cette reconnaissance partielle comme conforme aux règles de l’OMC, les deux secteurs et leur méthodologie doivent être identifiées avec des critères objectifs, afin de démontrer que la politique européenne antidumping est au-dessus de tout soupçon de protectionnisme.

Une version italienne de cet article est parue sous le titre Cina economia di mercato e la difficile scelta Ue, sur le site de notre partenaire LaVoce.