L’épreuve de vérité pour la télévision publique edit

24 octobre 2016

2017 sera une année cruciale pour la télévision publique en France. L’arrivée probable d’un nouveau président et d’une nouvelle majorité coïncidera avec la poursuite de la révolution numérique qui modifie profondément le comportement des usagers. Des changements profonds sont inéluctables pour des raisons aussi bien politiques qu’économiques.

France Télévision occupe certes un espace important dans l’espace audiovisuel grâce à ses six chaînes qui atteignent près de 30% de l’audience globale. Par ailleurs, le fait que son budget de 2,8 milliards d’euros soit financé à 85% par la redevance et donc l’impôt lui donne une sécurité financière dont ne bénéficie pas le groupe TF1 obligé de se battre en permanence pour faire rentrer des recettes publicitaires menacées par l’essor du numérique et l’omnipotence de Facebook.

Ces atouts ne doivent pas masquer des faiblesses intrinsèques qui sont dues en partie à la difficulté à laquelle l’Etat se heurte en permanence pour gérer le secteur public. La direction de France Télévision doit s’accommoder de trois tutelles dont les avis sont souvent divergents : le CSA d’abord qui nomme le président et veille notamment au respect de la déontologie et du cahier des charges, Bercy ensuite qui surveille de près les comptes souvent déficitaires et enfin Matignon et l’Elysée qui se préoccupent en permanence de l’information. Parallèlement le groupe audiovisuel doit gérer ses relations avec les autres organismes publics, France 24, Radio France, l’INA, qui ont chacun leurs contraintes et leur stratégie.

En prenant ses fonctions en août 2015, la nouvelle présidente, Delphine Ernotte, a voulu dépasser ces contradictions en lançant un projet qui pouvait satisfaire sa tutelle politique, donner un objectif à ses salariés et permettre de renforcer ses liens avec ses collègues du service public. Elle a donc décidé de créer une chaîne d’information en continu, France TV Info. Celle-ci a démarré en septembre dernier.

Le pari est risqué et sa réussite n’est pas garantie. En s’engageant sur cette voie, la présidente doit surmonter d’importantes difficultés. D’abord, le marché de l’information audiovisuelle est très encombré. Il existe déjà trois chaînes privées d’information continue, BFMTV, I-Télé et LCI dont une dominante, BFM qui a une audience d’environ 2%. Quand on sait qu’aux Etats Unis, un pays cinq fois plus peuplé, il n’existe que trois chaînes d’information qui à elles trois ne dépassent pas 5% de l’audience globale, on mesure combien il est hasardeux de vouloir imposer une quatrième chaîne dans notre pays.

L’enjeu est aussi financier. France Télévision peine à équilibrer ses comptes et ne peut pas compter sur des aides supplémentaires de l’Etat qui ne souhaite pas majorer systématiquement la redevance. Elle doit aussi investir dans les programmes de France 2 qui est distancée par TF1 et faire évoluer France 3 qui n’a jamais réussi à arbitrer entre les objectifs de son programme national et ses activités dans les régions. Dégager une soixantaine de millions pour financer France TV Info est donc un exploit qu’il sera malaisé de renouveler chaque année.

Enfin, la collaboration avec Radio France et France 24 est source de tensions en raison de la susceptibilité des différents responsables. Les journalistes de France Info qui a bien redressé son audience depuis un an vivent mal la concurrence que semble leur faire la chaîne de télévision.

Le résultat est-il à la hauteur des espoirs de la direction ? La chaîne est en phase de rodage et elle n’a sans doute pas encore atteint son équilibre. Néanmoins, le déroulé de France TV Info déçoit. Elle multiplie les séquences d’information brèves et répétitives et elle manque de journalistes de prestige capables de lancer une discussion ou d’animer un panel d’experts sur les sujets importants. Surtout, elle souffre de la concurrence interne d’Antenne 2 et de France 5 pour les enquêtes de fond ou les grands débats politiques. Il faut bien reconnaitre que sur une semaine, le téléspectateur intéressé par l’actualité se verra proposer plusieurs rendez-vous importants sur France 2 ou la Cinq mais ne trouvera rien de tel sur la chaîne d’info.

Les premières informations qui filtrent sur l’audience l’évaluent à 0,4%, un chiffre décevant si on tient compte de l’effort d’autopromotion du groupe public. Ses dirigeants font certes valoir que le site Internet démarre très bien et semble devoir être un des plus consultés des sites d’information. Ce constat renforce cependant la conviction de certains responsables du service public qui avaient souhaité que la chaîne soit diffusée uniquement sur le web, une formule beaucoup plus économique que la TNT.

Il est vrai que France Télévision doit comme ses collègues du privé faire face aux changements d’habitude des usagers et surtout des jeunes. Ceux-ci cherchent l’information sur le web et tout particulièrement sur les réseaux sociaux. Facebook est de désormais le canal dominant pour les moins de 35 ans, un public qui tend à délaisser la télévision classique et recourt volontiers à la vidéo à la demande.

On peut donc se demander si la stratégie de France Télévision consistant à se mettre en concurrence interne sur l’information est pertinente alors que sa principale chaîne, France 2 est en crise et que la fiction apparait de plus en plus comme l’atout majeur de la télévision traditionnelle pour affronter la compétition des services spécialisés sur Internet comme Netflix.

La majorité issue des élections de mai et juin 2017 devra forcément s’interroger sur l’organisation du service public de l’audiovisuel. Certains, à droite, ont préconisé la privatisation d’une chaîne. Cette hypothèse n’a guère de chances d’être retenue car les groupes TF1 et M6 y sont farouchement hostiles en raison du déséquilibre du marché publicitaire que cela entrainerait.

Une évolution plus vraisemblable, préconisée aussi bien à droite qu’à gauche, aboutirait au regroupement de l’ensemble des entreprises publiques dans une sorte de BBC à la française. Cette solution aurait l’avantage de permettre des économies significatives et de renforcer la position du service public sur Internet alors que c’est par ce canal que services et programmes passeront de plus en plus comme on le constate aux Etats Unis.

Cette transformation devra s’accompagner d’une étude de fond sur le financement du service public. Celui-ci devient malaisé pour plusieurs raisons. D’une part, la publicité à la télévision stagne depuis des années, comme le groupe TF1 en fait l’amère expérience et il ne faut pas compter sur cette ressource pour alimenter les chaînes publiques. D’autre part, la multiplication des supports de consultation de la télévision, notamment tablettes et smartphones, conduit inéluctablement à une baisse du nombre de comptes de redevance puisque celle-ci s’appuie sur la possession d’un poste de télévision classique.

Dans ce contexte nouveau, la vraie menace qui pèse sur le service public est la banalisation. Pour l’usager qui zappe sur son mobile, le statut juridique de l’émetteur de programmes n’a aucune importance. Ce qui compte c’est l’intérêt de l’offre.

En France, comme chez ses voisins européens, la survie du service public passe par un travail sérieux de réflexion sur sa spécificité. Produire des programmes d’information et de fiction qui ne dépendent pas du bon vouloir de géants multinationaux ou de simples intérêts financiers est un objectif louable. Il devrait recueillir un large assentiment du public à condition que la qualité soit au rendez-vous et que le coût ne soit pas prohibitif. Le chantier est ouvert et il faut espérer que les politiques auront la sagesse de le faire aboutir.