L'écologie politique en miettes? edit

17 septembre 2015

La récente décision de François de Rugy et de Jean-Vincent Placé de quitter avec fracas Europe Ecologie Les Verts et de créer une nouvelle formation politique a brutalement actualisé une fracture qui a traversé le parti écologiste depuis sa création. Pour un parti relativement jeune, dépourvu par conséquent d'une capacité à occuper seul ou en position majoritaire le pouvoir d'Etat (local ou national), la question des alliances est à l'évidence déterminante : qui choisir pour partenaire, pour quelle élection, avec quel contrat de gouvernement, à quel prix ? Or on chercherait en vain dans les textes majeurs de l'écologie politique ou dans les comptes rendus des congrès ou des assemblées générales des Verts un essai de théorisation de cette question. De ce fait, les Verts ont toujours géré leurs rapports au pouvoir de façon pragmatique. Mais ce qui semblait aller de soi au temps de la Gauche llurielle est devenu problématique dans un temps ou la social-démocratie est elle-même divisée entre un social-libéralisme qui ne dit pas son nom et une tentation de retour à l'orthodoxie de la gauche des origines.

La candidature de René Dumont à l'élection présidentielle de 1974 a marqué l'émergence de l'écologie politique dans le champ électoral. Cette première apparition sur une scène publique de l'écologie politique n'avait d'autre fonction que de témoigner de l'urgence de l'enjeu environnemental, loin de toute stratégie de participation au pouvoir. Fondé en 1984, le parti des Verts se pose dès 1986 la question des alliances et, sous l'influence d'Antoine Waechter, s'unit sur un principe de refus radical de toute alliance. « Ni gauche ni droite » devient le slogan d'une écologie qui revendique son autonomie absolue à l'égard des formations politiques traditionnelles qui, de gauche ou de droite, sont accusées de soutenir un productivisme condamnable. Opposée à cette stratégie, une fraction des Verts menée notamment par Yves Cochet et Dominique Voynet bataille lors d'assemblées générales houleuses pour ravir la majorité des adhérents à l'influence d'Antoine Waechter. Ce sera chose faite en 1993 mais, dès les élections régionales de 1992, les Verts obtiennent d'excellents résultats électoraux et se trouvent en mesure de partager le pouvoir régional avec le Parti socialiste.

Alertés par le score désastreux de Dominique Voynet à l'élection présidentielle de 1995 (3,3%) des dirigeants Verts préparent discrètement un accord avec le Parti socialiste dans la perspective des élections législatives prévues pour 1998. La dissolution de l'Assemblée nationale décidée au printemps 1997 par Jacques Chirac précipite les élections législatives et hâte la finalisation d'un accord programmatique et électoral entre Verts et Parti socialiste. Avec l'appui du Parti socialiste, sept députés écologistes sont élus et Dominique Voynet est appelée à occuper le poste de ministre de l'Environnement dans le gouvernement de Lionel Jospin. Les bénéfices concrets de cette participation au pouvoir sont bien maigres pour les Verts : hors quelques mesures symboliques – l'arrêt du surgénérateur de Creys-Malville et l'abandon du canal Rhin-Rhône – les politiques publiques d'environnement demeurent fort timides et ne mettent pas en question, en particulier, le bastion nucléaire. La faiblesse du bilan écologique de la Gauche Plurielle ne semble pas inquiéter les Verts qui se satisfont, semble t-il, du bilan social – les emplois jeunes, les trente-cinq heures – d'une gauche fort orthodoxe.

La réédition de l'accord de gouvernement Verts-PS dans la perspective des élections présidentielle et législatives de 2012 prend une dimension plus complète à l'automne 2011. Le nombre de circonscriptions « réservées » à un candidat EELV est plus élevé et ces cas plus soigneusement sélectionnés. Les résultats sont à la hauteur de cet accord et 17 députés élus forment pour la première fois un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale, pendant du groupe obtenu par EELV au Sénat à la suite des élections sénatoriales de 2011. L'accord programmatique est également plus ambitieux : il conduira à la loi de transition énergétique promulguée en août 2015 qui, pour la première fois, fixe des limites au développement de l'énergie nucléaire civile en prévoyant son plafonnement à 50 % de l'électricité produite en 2025.

Nommée ministre du Logement, Cécile Duflot, ancienne secrétaire générale d'EELV, mène à bien la promulgation de la loi ALUR (Loi pour l’accès au Logement et un Urbanisme Rénové). Mais les relations entre écologistes et gouvernement sont tendues, notamment lors d'épisodes où le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, fait procéder à la destruction de camps de Roms clandestins et à leur expulsion ou encore lorsque le gouvernement semble hésitant à poursuivre la libéralisation du mariage pour tous en autorisant la GPA (Gestation Pour Autrui). La nomination de Manuel Vals au poste de Premier ministre (31 mars 2014) précipite la crise entre EELV et gouvernement : Cécile Duflot déclare qu’EELV n'est pas en mesure de participer à un gouvernement car les idées portées par le nouveau Premier ministre « ne constituent pas la réponse adéquate aux problèmes des Français ». Validée par le bureau exécutif d'EELV, cette décision consacre la sortie des écologistes de la coalition gouvernementale. Ce choix, peu apprécié par les parlementaires écologistes, n'apparaît pas motivé par un refus du gouvernement Valls d'assurer la transition énergétique. Sur ce point aucun changement de politique publique n'était en cours et la loi consacrant cette orientation sera finalement achevée par la nouvelle ministre de l'Écologie, Ségolène Royal.

Encore une fois, c'est le jugement des écologistes sur le caractère orthodoxe, ou non, de l'orientation du gouvernement socialiste qui semble déterminant : peu porté vers l'écologie Lionel Jospin représentait une gauche orthodoxe, celle qu'apprécie la majorité des adhérents du parti Vert. Acquis à la transition écologiste le gouvernement Valls ne trouve pas grâce aux yeux de ces mêmes adhérents en raison de son orientation sociale-libérale, honnie de la majorité du mouvement Vert.

En choisissant de se séparer, les deux tendances de l'écologie politique, l'une cherchant un espace au centre gauche, l'autre se tournant vers la gauche de la gauche, prennent toutes deux des risques considérables.

La création d'un nouveau mouvement d'écologie politique, « Les écologistes ! », à l'initiative de François de Rugy et Jean-Vincent Placé, semble inspirée par ce qu'avait tenté « Génération Écologie » dans les années 1990 : la recherche d'une écologie plus pragmatique, plus centrée vers les enjeux strictement environnementaux et bénéficiant de la bienveillance du Parti socialiste. On se souvient que l'expérience, assez brillante au départ, n'avait pas su s'installer dans la durée.

La recherche par EELV d'alliances avec le Front de gauche est, dans l'instant, propre à satisfaire les orientations idéologiques d'une bonne partie des adhérents Verts. Mais, à terme, il est clair qu'une telle alliance, peut-être logique sur le plan des idées, risque d'être improductive sur le terrain électoral. Passe encore de perdre les régions qui étaient gouvernées en coalition avec le Parti socialiste. Mais quelle sera la stratégie des Verts en 2017 ? Faute d'un accord analogue avec celui de 2012 ils perdront et une quantité notable de financement public apporté par les résultats électoraux et leur groupe parlementaire source également d'un financement important. Une telle perspective induit à peu près inévitablement un recul de leur capacité d'influence. L'écologie politique française est bel et bien dans une impasse.