L'affaire Fazio ou l'exception (bancaire) italienne edit

21 décembre 2005

Au terme de plusieurs mois de combats sombres et de révélations nauséabondes, le gouverneur de la Banque d'Italie a démissionné. La justice se prononcera un jour. La police italienne enquête et la Commission Européenne saisit la Cour Européenne de Justice. Il est bien trop tôt pour savoir exactement ce qui s'est passé et pour condamner Antonio Fazio. Il se peut qu'il se défend parce qu'il n'a rien fait de répréhensible, tout comme il se peut qu'il ne cherche qu'à repousser l'instant du jugement. Mais l'accumulation de révélations l'ont paralysé et, en attendant, son refus, pendant des mois, de démissionner pose la question de l'indépendance des banques centrales.

Les banques centrales ont pour mission d'assurer la stabilité des prix. Cela peut parfois faire mal, parce que cela peut entraîner une hausse du chômage, ce qui déplaît aux opinions publiques et à leurs gouvernements. Lorsque les banques centrales n'étaient pas indépendantes, l'inflation était élevée - en France, plus de 10% au début des années quatre-vingts - la monnaie se dévaluait et les sondages d'opinion publique plaçaient l'inflation en haut des préoccupations des gens, avant le chômage. C'est pour cela que les banques centrales doivent être indépendantes. Revenir là-dessus c'est garantir le retour de l'inflation. Les gouvernements qui ont le doigt sur la presse à billets sont aussi peu disciplinés avec la monnaie qu'ils le sont avec la dette publique. Les bonnes résolutions sont toujours pour demain.

L'affaire Fazio illustre une toute autre question, celle du statut des banques centrales indépendantes. La première originalité de l'Italie réside dans les modalités de nomination de son gouverneur, un gouverneur dont le mandat est illimité, " à vie " a-t-on coutume de l'interpréter. Depuis Bokassa, on croyait de telles pratiques révolues. Ailleurs, les gouverneurs ont des mandats longs (cinq à huit ans) et souvent non-renouvelables (six ans, une fois renouvelable en France), pour garantir leur indépendance. Ils peuvent être indélicats. C'est pourquoi on prévoit un conseil d'administration indépendant du gouvernement et du gouverneur. Tel n'est pas le cas de l'Italie où ce conseil est composé de personnalités de second plan choisies par le gouverneur.

La deuxième originalité de la Banque d'Italie c'est qu'elle ne s'occupe pas seulement de politique monétaire. Elle est aussi en charge de la réglementation et de la supervision des banques commerciales. C'est dans l'exercice de ces fonctions que Fazio a violé l'esprit, sinon la lettre, de son devoir. Il a favorisé l'achat d'une banque italienne par une autre banque italienne, plutôt que par une banque hollandaise. Il se trouve que le patron de la banque qui a raflé la mise - la décision a été ensuite annulée - était de ses amis et les dernières révélations prétendent que ce dernier était fort généreux. Cela n'a rien à voir avec la politique monétaire et c'est pour cela que de plus en plus de pays séparent les deux fonctions : la banque centrale s'occupe de la monnaie, et de rien d'autre, alors qu'un autre organisme, indépendant mais soumis à un contrôle rigoureux, est en charge du secteur bancaire. (Cette séparation n'est que partielle en France.) Prendre le prétexte du cas italien pour remettre en cause l'indépendance des banques centrales est donc tout à fait injustifié. Cela n'a rien à voir, tout simplement.

Déjà des voix s'élèvent pour blâmer la BCE. Comme toujours, quand quelque chose ne vas pas, c'est la faute à l'Europe. Tout faux, encore. La BCE est une banque centrale indépendante, comme la Banque d'Italie ou la Banque de France. Il n'y a pas de hiérarchie entre elles. Toutes font partie du Système européen des banques centrales, dit Eurosystème, qui chapeaute toutes les banques centrales de la zone euro. Son autorité est le Conseil des gouverneurs, qui comprend les douze gouverneurs des pays membres de la zone euro et les six membres du Conseil d'administration de la BCE, sous la présidence du président de la BCE. Le Conseil des gouverneurs n'a pas d'autorité sur les banques centrales nationales, sauf pour les questions strictement monétaires. Chaque banque centrale nationale a ses propres statuts et est indépendantes des autres. L'Eurosystème, et encore moins la BCE, ne nomme pas les gouverneurs nationaux. Il ne pouvait donc pas faire grand-chose. La seule restriction est que les membres du Conseil des Gouverneurs sont tenus de signer un code de bonne conduite. Par la voix de son président, Jean-Claude Trichet, l'Eurosystème a rappelé à deux reprises que Fazio a signé ce code, ce qui signifie clairement qu'il pouvait l'avoir violé. A ce stade, les faits ne sont pas établis. A terme, en présence de preuves solides, le Conseil des Gouverneurs aurait pu refuser à Fazio le droit de siéger avec ses collègues, mais il n'avait pas celui de le limoger, encore moins de le remplacer. L'Italie n'aurait pas eu de représentant. C'est bien ainsi que les choses devaient se passer. L'affaire Fazio est purement italienne, et l'Italie un pays souverain. Il faut beaucoup de mauvaise foi pour faire porter le chapeau à l'Europe.