La mort à petit feu des élections législatives en France edit

16 juin 2017

L’avance importante de « La République en marche » au premier tour des élections et la possibilité de l’avènement de la majorité parlementaire la plus importante de l’histoire de la Ve République n’arrivent pas à éclipser une autre réalité des élections législatives de 2017 : le taux de participation le plus faible jamais enregistré en France pour une élection législative. Avec 50,2% d’abstention, c’est le taux le plus élevé depuis la première élection législative en France en 1848. 

Une élection législative « subordonnée »

Comme nous l’avons développé ailleurs, la Ve République en introduisant après 1962 l’élection du Président au suffrage universel direct a créé une hiérarchie entre l’élection présidentielle et l’élection législative. Comme le montre le graphique ci-dessous, l’élection présidentielle, depuis sa création, a toujours attiré plus d’électeurs que l’élection législative.

Le taux d’abstention moyen, en incluant les deux tours de l’élection présidentielle de 2017 et le premier tour de l’élection législative de 2017, est ainsi de 20 et 19% pour les premiers et seconds tours des présidentielles et d’environ 30 et 28% pour les premiers et seconds tours des législatives (partie gauche du graphique ci-dessous).

 

 

Mais le vrai problème est ailleurs, comme le montre la partie droite du graphique. L’abstention est surtout élevée quand l’élection législative coïncide (barre de droite) ou, plus précisément, suit une élection présidentielle. Quand les deux ne coïncident pas (barre de gauche), le taux d’abstention est plus faible. La dernière fois que ce fut le cas, en 1997, l’abstention s’est limitée à 32 et 29% aux premier et second tours. Mais quand elle suit l’élection présidentielle, l’élection législative est transformée en une élection de confirmation de l’élection présidentielle, comme un troisième tour d’une élection déjà décidée. Cela se ressent fortement au niveau du taux d’abstention, comme le montre le graphique, qui atteint plus de 37% en moyenne.

La réforme constitutionnelle de 2000, en ramenant le mandat présidentiel à cinq ans, couplée à l’inversion du calendrier électoral qui met l’élection présidentielle avant l’élection législative ont inscrit dans la durée cette subordination de l’élection législative. Les résultats du premier tour des élections législatives du 11 juin s’inscrivent ainsi dans la continuité des élections précédentes : 36 et 40% d’abstentions en 2002, 40 et 40 en 2007 et 43 et 45 en 2012.

Une majorité de plus en plus mal élue

Les mécanismes ne sont pas difficiles à saisir. La logique présidentielle place beaucoup d’espoirs dans le nouveau président élu, dont les électeurs se mobilisent massivement pour les législatives, alors que les électeurs des autres candidats se démobilisent tout aussi massivement. Un effet secondaire de cette abstention croissante est une majorité de plus en plus « mal élue ».  

En général quand on parle d’élections, on raisonne sur le pourcentage des votes exprimés, qui seuls déterminent le nombre de sièges. Le système majoritaire à deux tours en vigueur en France pour les élections législatives depuis 1988 donne une prime importante en siège au parti vainqueur. 
Le graphique ci-dessous présente plusieurs informations uniquement pour le parti arrivé en tête à chaque élection législative depuis 1988. En 1988, le PS obtient 37,2% des voix exprimées au premier tour et 45% des sièges. La prime est ainsi de 8%, la plus faible pour les élections ici considérées. En 2002, l’UMP obtient 33,3% des voix exprimées au premier tour pour, au final, 358 sièges, c’est-à-dire 62% des sièges et une prime de 29% (!). Au vu de ces différences, le système électoral français est – à raison – considéré comme un des plus « disproportionnels » au monde.

Mais regardons une autre mesure très peu commentée, à savoir le pourcentage des inscrits obtenus par le parti arrivé premier (et non le pourcentage des exprimés). Et là, la disproportionnalité devient encore plus importante. Avec le déclin de la participation aux élections législatives, la prime au gagnant s’accroît de manière – presque – exponentielle. Par exemple, en 2012, le PS a obtenu 48,5% des sièges avec 16,5% des inscrits.

Pire encore, selon la fourchette basse des estimations pour le second tour du dimanche 18 juin (400 sièges), « La République en marche » est susceptible d’obtenir au moins 69% des sièges avec 28% des voix exprimées et seulement 13,5% des inscrits au premier tour. Quoi qu’il arrive dimanche, la majorité élue sera peut-être la plus forte de l’histoire de la Ve République mais aussi la plus mal élue, quelle que soit la mesure utilisée (votes exprimés ou inscrits).

Au vu de ces quelques chiffres, il paraît urgent d’engager une vraie réflexion sur l’avenir des institutions et, plus particulièrement, la place des élections législatives et de l’Assemblée nationale. Il est très problématique, d’un point de vue démocratique, de voir les élections qui déterminent la majorité gouvernementale dévalorisées à ce point. À terme, c’est la légitimité des gouvernements et donc aussi celle de leurs décisions et de leurs politiques qui risquent d’en pâtir.

Il existe, pourtant, des pistes de réflexion. Pratiquement tous les candidats aux élections présidentielles de 2017, y compris le président élu, se sont déclarés favorables à un système électoral plus proportionnel, même si la formule utilisée,  « introduire une dose de proportionnalité », est extrêmement vague. Ce serait sans doute une piste à explorer plus sérieusement. L’ordre du calendrier électoral en serait une autre. L’important est de lancer un débat, maintenant que la période électorale est – presque – terminée et de faire en sorte que ce débat dépasse les intérêts particuliers de certains partis. Les résultats électoraux décevants pour les partis qui ont historiquement dominé la vie politique de la Ve République ouvrent à ce titre une opportunité sans doute unique. Espérons que la nouvelle majorité la saisisse.