Grèce: et si on essayait le modèle hawaïen? edit

13 juillet 2015

Dans le débat sur le sauvetage de la Grèce, les dépenses militaires grecques sont parfois mentionnées, mais rarement une solution est avancée. Cet article en suggère deux. Une alliance militaire franco-grecque qui participerait au maintien de la Grèce dans l’Europe et dans la zone euro ; le modèle hawaïen (Pearl Harbour + tourisme) pour la Grèce.

La crise financière et économique est bien sûr due à l’incurie de tous les gouvernements grecs depuis l’entrée du pays dans la CEE en 1981. Mais la Grèce est aussi victime de sa situation géographique au sein de l’euro. En effet, dans une union monétaire, il y a une tendance centripète (qui tend à rapprocher du centre). Sous l’effet de la monnaie unique, du libre-échange et du marché unique, nombre d’activités quittent la périphérie de l’euro et vont se concentrer au centre de la zone euro (Allemagne de l’Ouest, Benelux, Nord de la France, Italie du Nord). C’est vrai pour l’industrie (l’automobile par exemple), mais aussi dans les services. Les activités de banque d’investissement, d’assurance, de publicité ou de design… se concentrent au centre de la zone euro ; elles ont quitté la Grèce. C’est une des causes de la crise actuelle de la Grèce.

Ajoutons à cela une bulle de crédit à l’Etat grec jusqu’en 2009 et donc un taux de change réel surévalué, un environnement géographique hostile ou chaotique depuis le Printemps arabe où de nombreux débouchés naturels dans les marchés du Proche-Orient se sont effondrés… Il est aisé de voir pourquoi la Grèce n’a pas pu augmenter ses exportations industrielles, malgré la forte baisse des salaires.

La réponse à ces tendances centripètes est ce que j’appelle le modèle hawaïen. La Grèce est trop loin du reste de la zone euro pour s’en sortir seule. Son modèle devrait être celui de Hawaï. Hawaï, ce sont surtout les plages avec cocotiers et la base militaire de Pearl Harbour. Dit autrement : une spécialisation dans le tourisme et dans la Défense, avec une intégration totale avec le reste des Etats-Unis pour toutes les autres activités.

Dans la plupart des zones monétaires, les bases militaires se trouvent à la périphérie (garnisons de l’Est de la France, ou bases du Sud-Est ou Sud-Ouest de la France). La Grèce devrait suivre le même sentier. Elle devrait se spécialiser dans la Défense de l’Union Européenne, mais une Défense financée par l’ensemble de l’Union (au moins de la zone euro). Sa position géostratégique explique pourquoi il vaut mieux dépenser militairement en Grèce (notamment à ses frontières) plutôt que dans l’Est de la France, en Bavière ou dans le Benelux.

Bien sûr, ces transferts européens de dépenses militaires ne seront pas envers la seule armée grecque. À court terme, ce serait par des stationnements de militaires français, belges et autres européens en Grèce, avec leurs équipements et leur commandement. Les dépenses de ces militaires contribueraient à augmenter le PIB de la Grèce.

Le modèle hawaïen résout en partie une des insuffisances de la zone euro. Depuis les travaux de Mundell (1962), nous savons qu’une union monétaire suppose des transferts budgétaires automatiques (ou presque) pour absorber les chocs asymétriques. L’Allemagne est opposée par principe à une union des transferts sans union politique, et elle a raison. La France, au nom de sa grandeur éternelle, refuse l’union politique en Europe, ce qui interdit des transferts légitimes au sein de la zone euro et empêche le bon fonctionnement de la zone euro – elle a tort.

Le modèle hawaïen résout en partie cela. Il permet des transferts de l’ensemble de l’Europe vers la Grèce via le financement européen de ses dépenses militaires en Grèce. Mais ces transferts sont légitimes, car bénéficiant à tous dans l’Union européenne, y compris l’Allemagne. Enfin, s’agissant des affaires militaires, il sera plus difficile à l’Allemagne de s’y opposer.

En contrepartie, la Grèce doit accepter une complète intégration économique et financière avec le reste de la zone euro. Il ne faut pas se voiler la face : de même que à Hawaï il y a surtout des grandes entreprises du continent américain, à terme la Grèce n’aura plus d’entreprises proprement grecques dans les grands secteurs de son économie, mais de grandes entreprises européennes.

Bien entendu, le modèle Hawaïen devrait s’appliquer aussi aux autres franges de la zone euro, à commencer par les Pays Baltes (les cocotiers en moins).

Une première étape de ce modèle hawaïen serait une alliance militaire entre la France et la Grèce. Un tel accord pourrait inclure les éléments suivants.

  1. La France offrirait sa protection militaire et sa garantie de sécurité à la Grèce. En particulier elle aiderait, dès la ratification de ce Traité bilatéral, à la surveillance du ciel grec, des frontières terrestres et maritimes du pays.
  2. Cette protection viendrait EN PLUS des dispositions du Traité OTAN (article 5) et en plus du Traité de l’UE. Ce serait une garantie effective de sécurité en tout temps.
  3. En particulier, la France stationnerait en Grèce des avions susceptibles de garantir la souveraineté de la Grèce sur ses zones internationalement exposées dans la Mer Égée. Idem pour des troupes aux frontières terrestres.
  4. Comme la crainte aux frontières (contre la Turquie surtout) est la principale raison du budget militaire grec élevé (2,5% du PIB), la Grèce accepterait, d’elle-même et hors de ce Traité, de baisser significativement ses dépenses militaires à court terme, par exemple à 1,5% du PIB, ou 1%, de manière à réduire ses dépenses publiques dans le cadre du plan de sauvetage. À long terme, quand elle se sera réformée, la Grèce pourra augmenter de nouveau son budget militaire.
  5. En échange, le gouvernement grec accepterait que des troupes grecques participent aux opérations extérieures françaises de maintien de la paix (Centrafrique, Mali…) ou participerait à la présence française militaire dans des bases outre-mer (Djibouti, Cote d’Ivoire…).
  6. La France a toujours été une alliée politique et militaire de la Grèce (V. Giscard d’Estaing avait donné des garanties de sécurité au Premier ministre Karamanlis, à la fin 1974, après la crise de Chypre). Avec ce Traité, cette amitié serait renforcée.
  7. Ce Traité franco-grec serait ouvert aux amis de la Grèce (Belgique, Luxembourg, Italie… à qui voudra se signaler comme ami de la Grèce).
  8. Il serait clairement dit au gouvernement grec que cette alliance militaire renforcée ne serait proposée que si et seulement si la Grèce reste dans l’euro et que si le gouvernement signe l’accord de programme de renflouement proposé par l’UE.

Avec ce Traité, la France obtiendrait plusieurs objectifs :

  • Diminuer la crainte historique des Grecs envers la puissance militaire de la Turquie.
  • Réduire les dépenses militaires grecques. (Elles étaient de 3,3% du PIB Grec en 2009 et de 2,5% du PIB en 2013, avec une estimation à 2,2% du PIB en 2014 –source SIPRI de Stockholm).
  • Aider la Grèce à rester dans l’euro.
  • Commencer le modèle hawaïen pour la Grèce.
  • Éviter le chaos stratégique dans le Sud-Est de l’Europe.
  • Éviter un éventuel coup d’Etat de l’armée dans une Grèce en chaos, i.e. éviter un nouveau coup d’Etat des Colonels 1967.
  • Ce serait le début d’une véritable Europe de la Défense.

Au-delà, un accord de même genre pourrait envisager entre l’ensemble des pays de l’UE et la Grèce pour la surveillance civile des frontières maritimes et terrestres du pays (garde-côtes…), afin de limiter les trafics en tout genre et les immigrations illégales qui arrivent par les frontières de la Grèce.

Ce traité pourrait être un nouveau premier petit pas (après l’échec de la Communauté Européenne de Défense en 1954) vers une Europe de la Défense. Au lieu de grandioses plans pour une Europe de la Défense, ce Traité serait un premier pas pratique, dans l’un des endroits les plus faibles stratégiquement de l’Europe. Bien entendu, un tel traité devrait être ouvert à tous les pays de l’UE, même si peu de pays sont susceptibles de dire oui au départ.