Union bancaire: rompre le cercle vicieux edit

16 décembre 2016

L’union bancaire, décidée fin juin 2012 au point le plus aigu de la crise de la zone euro, est passée très rapidement du projet à la réalisation. Depuis plus de deux ans maintenant, la Banque centrale européenne est l’autorité en charge du contrôle de toutes les banques de la zone euro, avec une délégation opérationnelle au niveau national pour les petites banques. Les champions bancaires nationaux, longtemps habitués à être traités avec ménagement par les superviseurs locaux, se sont dans l’ensemble adaptés au nouveau régime. Mais l’objectif ultime de l’union bancaire, défini par les chefs d’État et de gouvernement en 2012 comme « l’impératif de rompre le cercle vicieux entre banques et finances publiques nationales », n’a pas encore été atteint.

Un des maillons essentiel de ce cercle vicieux est la grande quantité de titres de dette souveraine nationale de leur pays d’origine encore détenus par de nombreuses banques de la zone euro. La réduction de ce biais domestique est au cœur des discussions sur les prochaines étapes de l’union bancaire.

La présidence néerlandaise de l’UE, au premier semestre 2016, a courageusement essayé de faire des progrès dans ce sens, mais s’est achevée sur un constat d’échec lors du conseil Ecofin de juin, parce que la plupart des pays veulent continuer à se réserver la possibilité d’utiliser « leurs » systèmes bancaires comme acheteurs en dernier ressort de leur dette souveraine.

En mai, le gouverneur de la Banque d’Italie a ainsi évoqué publiquement la nécessité de maintenir « la capacité des banques à agir en tant qu’amortisseurs en cas de problème souverain ». Même l’Allemagne, généralement partisane d’une stricte discipline budgétaire, est contrainte par le rôle joué par ses banques locales dans le financement de ses collectivités territoriales. En même temps, le gouvernement allemand refuse d’approuver la création d’un système européen d’assurance des dépôts (European Deposit Insurance Scheme, EDIS), pièce manquante essentielle de l’union bancaire, en l’absence de limites à l’exposition des banques au risque souverain. Son souci, légitime, est que le partage des risques inhérent à l’EDIS puisse être exploité par des États impécunieux. Les Allemands craignent que l’EDIS puisse être utilisé par les États pour obtenir des conditions de financement plus avantageuses dans une logique de répression financière, en abusant de l’influence qui leur reste auprès des banques domiciliées sur leur territoire.

Le conseil Ecofin de juin a décidé que toute nouvelle initiative sur le traitement réglementaire des expositions souveraines devrait attendre les résultats de travaux en cours au Comité de Bâle. Ce n’est qu’ensuite que l’EDIS sera discuté « au niveau politique ».

Mais la question de l’exposition des banques au risque souverain ne peut rester un vœu pieux. Pour améliorer sa résilience, la zone euro doit permettre aux banques de résister au stress souverain, même dans leur pays d’origine. C’est seulement alors que le système bancaire pourra pleinement jouer son rôle d’amortisseur des chocs économiques asymétriques – comme cela s’est produit, par exemple, dans les pays baltes en 2009-2010, dont les banques ont été soutenues par leurs maisons mères scandinaves. Des mesures réglementaires vigoureuses sont nécessaires pour fortement réduire le biais domestique dans les portefeuilles de dette souveraine des banques et veiller à ce qu’il ne réapparaisse pas à l’avenir.

Ce défi est entièrement spécifique à la zone euro. Dans les pays qui ont leur propre monnaie, y compris au sein de l’UE, les liens entre banques et souverain sont moins «vicieux» puisque la banque centrale peut agir comme acheteur en dernier ressort de la dette souveraine. Il est donc illusoire de s’en remettre au Comité de Bâle, qui ne pourra y apporter aucune véritable solution. C’est à la zone euro et à elle seule qu’il appartient de prendre des mesures appropriées pour limiter le biais domestique. Elle peut du reste le faire sans contraindre en pratique les montants totaux d’obligations souveraines de la zone euro détenues par les banques en tant qu’«actifs sûrs», dans la mesure où ces avoirs peuvent être diversifiés dans 19 pays émetteurs : en supposant une calibration appropriée, une limitation du biais domestique ne constituerait pas une distorsion de concurrence vis-à-vis des banques hors zone euro. Par exemple, la charge de capital pourrait être nulle tant que le stock de dette d’un pays donné de la zone euro est inférieur à 25% des fonds propres de la banque considérée, faible entre 25 et 50% et plus dissuasive au-dessus de 50%. Les charges et seuils correspondants ne doivent pas dépendre de la perception du risque souverain, mais au contraire être appliqués de la même manière à toutes les banques et États membres de la zone euro. Il est en effet illusoire de vouloir assigner objectivement des pondérations de risque aux pays émetteurs, et des tentatives en ce sens pourraient avoir des effets procycliques très déstabilisants. En d’autre termes, la solution passe par des limites de concentration graduées (soft exposure limits) et non une pondération générale des risques souverains (risk-weights).

Il est naturel que les agences nationales de gestion de la dette souveraine s’opposent farouchement à de telles idées, mais elles sont néanmoins justifiées par l’intérêt supérieur que représente la stabilité financière de la zone euro et des Etats membres en son sein – comme l’a bien illustré le cas de la Grèce en 2015, lorsque la limitation par la BCE des avoirs des banques grecques en dette souveraine domestique a permis d’éviter une crise qui aurait pu être encore beaucoup plus grave. Parallèlement aux provisions pour la participation financière (bail-in) des créanciers des banques non viables, désormais en place même si elles ont encore été peu testées en pratique, les limites d’exposition souveraines contribueraient puissamment à la neutralisation du cercle vicieux banques-souverains qui a failli conduire à l’éclatement de la zone euro en 2011-2012. Ces limites renforceraient également la discipline de marché sur la gestion budgétaire des États membres, ce qui serait plutôt une bonne chose vu le caractère à l’évidence trop peu contraignant du cadre budgétaire existant sur la base du pacte de stabilité et de croissance. Plusieurs pays de l’UE affichent déjà du reste un faible biais domestique dans les portefeuilles de leurs banques, par exemple la Finlande, les Pays-Bas et la Suède. Avec des dispositions transitoires adéquates (un point important et délicat), il est possible de passer le cap.

La zone euro a un besoin impératif de renforcer son union bancaire. Pour cela, il lui faut mettre en place des limites d’exposition souveraine et simultanément l’EDIS dans les termes proposés par la Commission européenne en novembre dernier, ainsi qu’une harmonisation supplémentaire des régimes de faillite bancaire, au-delà de la hiérarchie des débiteurs qui a fait l’objet d’une proposition récente de la Commission. Compte tenu de la fragilité bancaire persistante en Italie, des élections de l’an prochain en Allemagne et ailleurs, des distractions du Brexit et de la complexité des enjeux en cause, il est peu probable que cette négociation soit conclue immédiatement. Mais le plus tôt sera le mieux.

 

La version anglaise de ce texte est parue dans l’édition d’octobre-novembre de Financial World (Londres).