Agriculture: provocation américaine edit

10 juin 2008

La nouvelle loi agricole des Etats-Unis, traditionnellement appelée « Farm Bill », crée de sérieux doutes quant à la volonté politique des responsables de ce pays de réguler les échanges agricoles mondiaux. Elle éloigne encore plus les chances de parvenir à un accord à l’OMC.

Il faut noter pour commencer que la nouvelle loi est totalement contraire aux orientations souhaitées par le pouvoir exécutif. Le président Bush a d’ailleurs fait usage de son droit de veto ; mais les deux chambres ont surmonté cet obstacle en approuvant ensuite la loi qu’elles avaient votée par des majorités écrasantes (81 contre 15 au Sénat, 318 contre 106 à la chambre des Représentants), bien au-delà de la majorité des deux tiers requise pour contrer un veto présidentiel.

Le titre officiel de la nouvelle loi est « Food, Conservation and Energy Act of 2008 » (FCEA), et celle-ci couvre une période de cinq ans, comme les précédents Farm Bills. Caractéristique essentielle à prendre en compte, le chapitre le plus controversé, à savoir les interventions sur les marchés des produits agricoles et les paiements directs qui leur sont associés assez directement (comme dans le cas du « premier pilier » de la PAC), ne représente que 11% du coût budgétaire total prévu (307 milliards de dollars). La loi couvre en effet aussi des domaines aussi variés que les subventions à la consommation alimentaire des plus pauvres, qui incidemment prendront la part du lion du budget (209 milliards), la conservation des ressources naturelles, le développement rural, le crédit agricole, l’aide à l’assurance récoltes, les forêts, l’énergie, le bien-être animal, la régulation des marchés à terme, l’aide alimentaire aux pays pauvres, la recherche, l’horticulture et l’agriculture biologique, etc.

L’arsenal des mesures existantes pour les principales cultures (prix minimum ou « loan rate », prix d’objectif ou « target price », paiements directs et paiements contra-cycliques) est maintenu voire renforcé par des hausses de prix, en partie compensées par une légère réduction de la surface de référence sur laquelle seront calculés les paiements au cours des premières années de mise en œuvre de la loi. En outre, un nouvel instrument a été inventé, appelé Average Crop Revenue Election (ACRE). Il s’agit d’un filet de sécurité protégeant contre les baisses de revenus, et non contre les baisses de prix comme dans le cas des paiements contra-cycliques.

La participation à ce programme est volontaire, elle implique le renoncement aux paiements contra-cycliques, une réduction du paiement direct et une baisse du prix minimum. On ignore le nombre d’agriculteurs qui choisiront cette option nouvelle. Il se peut qu’en cas de baisse des prix de marché au cours des prochaines années, les montants à payer dans le cadre de ce nouveau programme soient très élevés car ils seront calculés sur la base des prix actuels.

Une autre controverse a porté sur la limitation des paiements directs.  . Le pouvoir exécutif voulait fixer un plafond de 200 000 $ ; finalement, celui-ci sera de 750 000 $ pour les revenus agricoles et 500 000 $ pour les revenus non-agricoles.

 

Les premiers rôles ont été joués par les présidents des commissions parlementaires des deux Chambres. Le principal déterminant dans ce cas semble être le désir de satisfaire les intérêts agricoles traditionnels. Ceci s’explique probablement par le poids des électeurs directement intéressés par la législation dans la circonscription électorale de ces parlementaires, d’une part, et par les contributions financières aux campagnes électorales des diverses organisations de lobbying liées à l’agriculture, d’autre part. Des considérations analogues peuvent probablement expliquer l’attitude de la plupart des autres membres de ces commissions parlementaires agricoles. À plusieurs moments dans le processus, les observateurs ont été convaincu qu’un débat totalement ouvert en séance plénière dans la chambre des Représentants, c’est-à-dire avec possibilité d’amender le texte proposé par la commission spécialisée, aurait produit une législation beaucoup moins favorable aux lobbies agricoles.

Il faut donc s’interroger sur les raisons pour lesquelles Nancy Pelosi, la présidente de la chambre qui en dernière instance peut déterminer le choix de procédure, a décidé de ne pas s’opposer à la commission agricole. L’interprétation la plus courante est qu’elle avait besoin du soutien de ses membres sur d’autres législations qui lui importaient davantage. En outre, les augmentations importantes de budget pour les programmes de nutrition pour les plus pauvres offraient à cette élue démocrate de Californie, sensible au poids des intérêts urbains où sont concentrés les bénéficiaires de ces programmes de nutrition, une couverture politique idéale.

Ce nouveau Farm Bill scelle probablement l’échec du Cycle de Doha. Avec cette nouvelle loi agricole, il sera maintenant facile de faire porter la responsabilité de l’échec sur les Etats-Unis. Une telle situation arrangera probablement beaucoup de monde. Mais elle pose de sérieuses questions pour l’avenir de la gouvernance mondiale. On peut en effet penser que malgré toutes leurs difficultés, les négociations commerciales exigent moins de sacrifices que celles sur d’autres sujets, notamment celles sur la lutte contre le réchauffement climatique.