Le secret bancaire suisse a-t-il un avenir ? edit

3 avril 2009

Le sommet du G-20 à Londres à remis de nouveau sur le tapis la question des paradis fiscaux. Ce sujet ne peut à l’évidence pas laisser la Suisse indifférente. Dans ce contexte que va devenir le fameux secret bancaire helvétique ?

À la base, la notion de secret bancaire reflète la conception du rapport entre l’individu et l’état. La Confédération helvétique est un ensemble plutôt hétéroclite de 26 états (cantons) et de quatre langues nationales. L’électorat y est fortement impliqué dans la vie politique, comme en témoigne la tenue de scrutins sur toutes sortes de sujets tous les trois mois. La culture politique suisse se caractérise dès lors par une certaine méfiance envers toute forme d’autorité centralisée, les cantons retenant des pouvoirs substantiels. Cette vision se manifeste dans le secret bancaire. Il implique que l’état ne peut pas connaitre le montant du compte d’un citoyen, à moins d’apporter à un tribunal des éléments indiquant un délit, un peu comme la police ne peut pas perquisitionner un appartement sans mandat.

La question devient alors la définition d’un délit. Le blanchiment d’argent tombe clairement sous cette définition, et les lois suisses sont à cet égard fort sévères (une évolution qui doit aux pressions étrangères, il est vrai). Pour ce qui est des délits fiscaux, la loi Suisse fait une distinction entre l’évasion fiscale, qui consiste à « omettre » de déclarer des revenus, et la fraude, qui implique l’utilisation de fausses factures ou autres documents. Si la seconde est un délit pénal, la première n’est punie que par amende.

Comment ces aspects s’appliquent-ils à des résidents étrangers ayant un compte en Suisse ? La Suisse a conclut des accords d’entraide avec un grand nombre de pays, selon lesquels les détails des comptes peuvent être transmis au fisc étranger s’il apporte des éléments montrant une fraude fiscale. Toutefois, cette clause ne s’appliquait pas, jusqu’à récemment, à l’évasion. L’application de cette distinction aux non-résidents constitue une forte pomme de discorde, ce qui est bien compréhensible. Outre ces accords d’aide judiciaire, la Suisse a des arrangements avec l’Union Européenne selon lesquels elle prélève un impôt sur les intérêts des comptes en Suisse et le ristourne au pays étranger. La Suisse se refuse toutefois a transmettre automatiquement les noms des contribuables.

Ces arrangements n’avaient pas définitivement réglé le dossier et auraient sans nul doute du être revu même en l’absence de la crise. Les besoins accrus de ressources des états ont précipité cette renégociation. L’aveuglement de la plus grande banque suisse en allant illégalement démarcher des clients américains a jeté de l’huile sur le feu et renforcé les pressions des Etats Unis, les pays européens suivant. Le risque pour la Suisse de figurer sur une liste noire lors du prochain sommet du G20 l’a conduite à lâcher du lest et renoncer à la distinction entre fraude et évasion pour les résidents étrangers, les modalités exactes devant encore être négociées. On peut envisager d’autres concessions, telles une extension de l‘impôt à la source, ou une assurance que les procédures d’entraide ne traînent pas en longueur. D’autres places financières, telles que l’Autriche, le Luxembourg et bien d’autres, ont également accordé des concessions similaires.

On peut s’attendre à ce que les pressions sur la Suisse demeurent durablement fortes. Comment peut-elle dès lors gérer ce dossier à l’avenir ? Tout d’abord, il est important d’établir des règles du jeu s’appliquant à toutes les places financières. Ceci est à l’évidence dans l’intérêt de la Suisse, mais aussi des pays cherchant à combattre l’évasion fiscale, car sans cela les fonds ne feraient que se déplacer dans d’autres places financières. En outre toutes les juridictions n’accordent pas l’entraide judiciaire ou l’impôt à la source comme la Suisse le fait. De plus, plusieurs pays combattant l’évasion fiscale ne sont de loin pas innocents, offrant eux-mêmes des possibilités de dépôt anonymes. L’état américain du Delaware est souvent cité en la matière, comme le sont les îles anglo-normandes sous juridiction britannique qui offrent des arrangements de « trust » pour le moins hermétiques.

Deuxièmement, la Suisse doit se doter d’une stratégie et d’une vision à long terme afin de pouvoir anticiper les problèmes, plutôt que de réagir sur la défensive comme elle le fait. En particulier, le pays doit décider si le jeu en vaut la chandelle. Les recettes de la gestion de capitaux fuyant le fisc sont-elles si importantes qu’il faille traverser des tensions périodiques avec nos voisins ? Si certains estiment que ces recettes sont substantielles, d’autres affirment que la place financière suisse pourrait s’en passer. Difficile de se faire une idée précise. Toutefois, la Suisse offre d’autres atouts, tels qu’un savoir faire, une stabilité politique et financière. Par conséquent il est vraisemblable que si des règles plus strictes contre l’évasion fiscale sonneraient le glas de certains acteurs de la place financière helvétique, celle-ci devrait passer le cap et baser sa performance sur une valeur ajoutée plus pointue. Les industries exportatrices suisses se caractérisant par des produits à haute valeur ajoutée, pourquoi en irait-il autrement de la finance ?

Un tel choix demande un leadership de la part du secteur financier et des autorités politiques. Sur ce point la décentralisation du système helvétique est défavorable. Cependant la Suisse, tout aussi inertielle soit-elle, peut s’adapter. Le canton de Zürich offre un exemple intéressant dans le cadre des forfaits fiscaux, lesquels permettent à des résidents étrangers établis en Suisse mais n’y travaillant pas, comme Johnny Hallyday, de bénéficier d’un impôt forfaitaire. L’électorat zurichois à décidé de supprimer ces forfaits lors d’une récente votation, une telle évolution dans d’autres cantons demeurant tout à fait possible.

La tendance est dès lors à un resserrement des législations contre l’évasion fiscale. La Suisse, bien que partant avec un tour de retard, pourra s’y adapter. Il convient toutefois de rappeler que la crise actuelle n’est pas partie des places financières offshores : les hypothèques subprime n’ont après tout pas été créées en Suisse. En outre, il faudra se garder lors du G20 d’utiliser les places financières comme bouc émissaires. La relance fiscale et la lutte contre le protectionnisme sont des sujets plus importants, bien que moins faciles. Finalement, il faudra bien finir par se demander pourquoi dans certain états l’évasion fiscale, loin d’être limitée à quelques avides milliardaires, prend des allures de sport national. Certes, cela est moins confortable que de montrer des petits pays du doigt…