G20 : l’affaire des bonus edit

23 septembre 2009

La réglementation des bonus bancaires est devenue un cheval de bataille du monde politique. Voilà qui peut paraître réconfortant au premier abord : lier le revenu des banquiers à la profitabilité de la banque à long terme les empêcherait de choisir des stratégies payantes dans l’immédiat mais coûteuses à la banque une fois que l’employé aura empoché son bonus. Pourtant, en mettant l’accent sur les bonus on se trompe substantiellement de cible.

Comment, me direz-vous, peut-on ne pas être d’accord de resserrer les contraintes sur un secteur aux agissements si coûteux pour l’ensemble de l’économie ? Il est tout à fait exact que de larges pans du système bancaire doivent la vie sauve au contribuable, et qu’accorder de hauts revenus alors que le chômage va s’accroissant passe mal. Ces aspects peuvent cependant être traités, et le devraient, par d’autres biais que les bonus. L’État peut exiger des banques désirant s’affranchir de l’aide publique qu’elles remboursent le contribuable avec un intérêt substantiel pour bien souligner que les largesses de l’État ne sont pas gratuites. Quant aux inégalités de revenus, il existe depuis longtemps des outils destinés à les réduire, notamment l’impôt sur le revenu progressif et l’assurance chômage.

Le rôle des bonus dans la crise est de surcroît discutable. La stratégie de réglementer ses bonus repose sur une vision de la crise selon laquelle les banquiers savaient très bien ce qu’ils faisaient, et ont sciemment joué la profitabilité de la banque à court terme en vue d’empocher des gains immédiats. Si l’on part dans cette optique, il n’y a alors « qu’à » donner les bonnes incitations au banquier pour que leur excellente compréhension des marchés profitent à l’ensemble de la banque.

Mais les banquiers savaient-ils vraiment ce qu’ils faisaient ? Plusieurs articles et ouvrages sur la situation avant la crise montrent en fait que dans une grande mesure ils étaient convaincus de la validité à long terme de leurs stratégies. Par exemple, l’avis que les prix immobiliers ne connaîtraient jamais de chute substantielle était largement répandu, mais s’est avéré erroné. La situation de la défunte banque Lehman Brother est une bonne illustration : ses salariés et ses dirigeants avaient investi beaucoup de leur revenus en actions de la banque pour profiter de ses bonnes perspectives, et ils ont vu leur économies s’évaporer. Nous sommes donc loin d’une situation où les employés auraient mis leurs avoirs à l’abri pour éviter une crise qu’ils voyaient venir.

Partons alors du postulat que les gens sont plus souvent maladroits que malhonnêtes. Dans ce cas, la réforme des bonus apporte peu : l’erreur est tout aussi coûteuse que quelqu’un se trompe honnêtement ou non. Si la réglementation des bonus n’est pas la baguette magique, que faire alors ? Une première stratégie consiste à promouvoir un scepticisme sain face aux développements financiers. Certes les produits adossés aux hypothèques ont longtemps été très profitables, mais le postulat que les prix ne chuteraient jamais n’a que peu été questionné. Une vue plus sceptique de la part des banques aurait limité les dégâts. Cette stratégie se heurte toutefois à deux obstacles. Tout d’abord, on ne sait qui a raison qu’après plusieurs années. Le fait de débattre de la solidité d’un nouveau produit financier ne garantit dès lors pas que le débat conduise à une appréciation infaillible. Deuxièmement, la personne sceptique posant les questions qui dérange se heurte à une forte inertie : tant que les investissements sont profitables, gageons que le seul résultat de son scepticisme sera des perspectives de carrière limitées. Encore une fois, cela ne reflète pas nécessairement une appréciation sciemment à court terme de la direction de la banque, mais plutôt la tendance, humaine après tout, à croire que les bons rendements sont le signe d’une gestion intelligente plutôt que simplement de la chance. La capacité du régulateur d’agir contre un tel aveuglement au risque est relativement limitée. S’il peut questionner les orientations de la banque dans les grandes lignes, il n’a tout simplement pas les ressources d’évaluer les placements de manière détaillée. En outre, rien ne permet d’être sur que le régulateur commettra moins d’erreurs d’appréciations que la banque elle-même.

Comme limiter le risque d’erreurs est une tâche ardue, il est préférable de limiter les conséquences des erreurs qui ne manqueront pas de se produire. Une première approche est de renforcer le niveau de fonds propres que les banques doivent détenir, afin de constituer une réserve qui leur permet d’absorber les pertes résultant d’investissements peu productifs. Cette approche se heurte à une réticence des banques car elle limite leur capacité d’utiliser le levier financier pour accroître le rendement de leur fonds propres.

Une seconde stratégie vise à limiter la taille des établissements, afin qu’ils puissent partir en faillite sans entrainer le reste de l’économie avec eux. Si l’activité bancaire implique des rendements d’échelle impliquant une certaine taille critique, il est pour le moins discutable que cet aspect justifie la création de gigantesques groupes bancaires. En fait, ces groupes se sont avérés très difficiles à gérer car ils incluent des branches d’activité différentes. De surcroît, leur construction par le biais de fusions de banques existantes a souvent conduit à une structure bricolée qui ne permet pas d’avoir une vue d’ensemble des activités (l’intégration des systèmes informatiques est souvent une tâche herculéenne par exemple). Réduire la taille des banques permettrait alors de limiter le besoin de recourir à l’aide publique, laquelle pourrait même s’avérer insuffisante comme dans le cas de l’Islande, sans générer des pertes en termes d’efficience économique.

L’accent sur la réglementation des bonus, tout aussi compréhensible soit-il au regard des coûts humains de la crise, n’est donc pas la meilleure stratégie. S’il est très vraisemblable que certains des acteurs ont sciemment suivi des stratégies de court terme, l’ampleur de la crise reflète plutôt une appréciation sincère mais erronée. Plutôt qu’une stratégie de régulation qui consiste à dire que nous éviterons les problèmes, et souffre dès lors d’un syndrome d’infaillibilité, il est préférable d’admettre que des problèmes surgiront, mais de viser à en limiter les conséquences. À choisir, il est préférable d’avoir des banques de taille limitée payant des bonus plutôt que des banques géantes n’en payant pas.