Bernanke à la Fed : plutôt pas mal… edit

6 décembre 2009

Fin janvier le Sénat américain devra décider du renouvellement du mandat de M. Bernanke à la tête de la Réserve fédérale américaine. Quel bilan peut-on dresser de son action au terme d’un mandat pour le moins agité ?

Le point majeur de ces années est l’agressivité avec laquelle la Fed, ainsi que bien d’autres banques centrales, a répondu à la crise dès ses premiers signes en août 2007. Elle a coupé son taux d’intérêt jusqu’à zéro, s’est impliquée à fond dans son rôle de pompier du secteur financier afin d’éviter un effondrement des grandes banques et de débloquer les marchés. Cet interventionnisme a plus que doublé la taille de son bilan, du jamais vu dans l’histoire monétaire moderne.

La Fed n’a cependant pas fait au mieux. Si elle a cru pouvoir contenir les conséquences de l’effondrement de Lehman Brothers, elle a vite déchanté devant le blocage complet des marchés financiers et la récession qui s’en sont ensuivis. En outre, elle n’a pas vu venir la tempête, ce qui jette un sérieux doute sur la qualité de son travail de superviseur des plus grandes banques aux Etats-Unis.

Peu étonnant dès lors que le Congrès rechigne à accroître le rôle de superviseur de la Fed, et que certains de ses membres vont jusqu’à vouloir rogner sur l’indépendance de la banque centrale. Cette colère du Congrès, aussi compréhensible soit-elle, risque bien d’affaiblir la capacité des autorités à gérer les crises futures.

Tout d’abord, la crise a démontré le besoin d’avoir un superviseur avec une vue de l’ensemble des marchés financiers. Cela n’était pas le cas avant la crise : la Fed, le Trésor, et bien d’autres agences étatiques contrôlaient chacun un coin du système financier, mais personne ne pouvait relier les différentes pièces du puzzle. En particulier, AIG, une firme au cœur de la tourmente, ne faisait l’objet que d’une supervision minimale. Il faut dès lors établir une agence de supervision sinon unique, du moins dominante, pour limiter les risques de telles surprises dans le futur. Il est crucial que cette agence jouisse d’une indépendance bien ancrée, afin de pouvoir poser les questions qui fâchent dans les périodes d’euphorie qui précèdent toute crise.

Faut-il pour autant que cette agence soit la banque centrale ? Pas nécessairement, mais il est important que cette agence soit alors en contact fréquent avec la banque centrale. En période de crise, le système financier est toujours à cours de liquidité, et seule la banque centrale peut créer cette liquidité. Il est alors crucial qu’elle ait une bonne appréciation de la situation, ce qui nécessite des contacts réguliers avec l’autorité de surveillance. Le cas britannique présente une illustration claire de ce problème : les contacts entre la Banque d’Angleterre et l’Autorité de Surveillance Financière ont laissé à désirer, comme on l’a vu dans le cas de Northern Rock.

L’indépendance dont jouissent les banques centrales offre une raison supplémentaire de leur confier la tâche, l’idée étant que le superviseur obtiendra l’indépendance de la banque centrale. Cela n’est toutefois pas sûr. Si les autorités politiques rechignent à accorder au superviseur l’autonomie dont il a besoin, le risque est alors qu’au final l’indépendance de la banque centrale en sorte affaiblie.

Est-ce si grave, me direz-vous ? Après tout n’est-il pas normal dans une société démocratique que la banque centrale, vu son impact majeur sur l’économie, ait des comptes à rendre ? C’est en effet tout à fait légitime, mais cela se fait déjà par le biais de l’obligation des dirigeants de la Fed de devoir régulièrement témoigner devant le Congrès. Il faut toutefois préserver l’autonomie de la banque centrale dans sa gestion de la politique monétaire.

Rappelons d’où vient le souci aigu des économistes pour cette indépendance. A la base du raisonnement est la capacité de la politique monétaire de réduire le chômage temporairement, au prix d’un peu d’inflation. Son indépendance lui permet de se concentrer sur l’inflation comme objectif de long terme. Il ne s’agit pas là de choisir une combinaison inflation-chômage autre que le pouvoir politique (ce qui se résume à un débat de préférences), mais de reconnaitre que si la banque centrale se prête systématiquement au jeu de vouloir réduire le chômage à coup d’inflation, le public devine son jeu et ne se laisse pas surprendre. La banque centrale n’arrive alors qu’à générer de l’inflation, sans réduire de chômage. Il vaut dès lors mieux ne pas se livrer à ce jeu, ce qui se fait en garantissant l’autonomie de la banque centrale. Rogner sur l’indépendance des banques centrales revient à oublier plus de vingt ans de leçons durement apprises.

Certes la Fed n’a pas suffisamment vu venir la crise. Mais le Congrès n’a de loin pas fait mieux. Rappelons le lobbying intense que Freddie Mac et Fannie Mae, deux géants de l’émission d’hypothèques à présent sous perfusion de l’état, exerçaient sur le Congrès à chaque voit que l’agence spécialisée qui les supervise se montrait trop sévère. Loin de défendre cette agence, le Congrès s’est montré plus intéressé par les arguments de ces deux géants (un peu), et par leurs contributions aux frais des campagnes électorales (beaucoup). Au moins les gouverneurs de la Fed n’ont pas besoin de constamment lever des fonds pour leur réélection, ce qui les rend bien moins susceptibles aux pressions.

Finalement, quelles auraient les alternatives que la Fed aurait pu suivre ? Rester l’arme au pied face au dérèglement du secteur financier nous aurait sans doute conduits dans une deuxième grande dépression. Sauver Lehman Brothers n’aurait fait que retarder l’éclatement d’un problème qui pourrissait depuis le début de la crise. Accompagner la faillite de Lehman d’un plan adressant les problèmes de manière systématique plutôt qu’au cas par cas aurait été souhaitable. Au lieu de cela, le plan Paulson fut construit dans la hâte sans stratégie claire.

Le bilan de Bernanke est donc globalement positif dans des circonstances extrêmes. Il n’est de loin pas parfait, chose que l’intéressé reconnaît et s’active à remédier. Toutefois rogner l’autonomie de la Fed n’est pas la solution aux problèmes révélés par la crise. Au contraire, cela implique un risque de réveiller le démon inflationniste.