François Hollande ou l’apprentissage de la communication edit

11 mars 2015

«François Hollande a fait ce qu'il fallait faire»: ces huit mots, après la séquence terroriste de janvier 2015, ont sûrement beaucoup coûté à Nicolas Sarkozy, qui a toujours considéré son vainqueur de 2012 comme la nullité faite président. La profondeur abyssale dans laquelle Hollande était tombé dans les sondages, l’ampleur de son rejet dans les enquêtes qualitatives, l’avaient relégué dans les enfers de l’opinion. Et voici, comme une monnaie cessant de perdre indéfiniment son pouvoir d’achat, ce président dévalué se trouvait réévalué. Les Français percevaient autrement l’homme qu’ils avaient élu deux ans et demi plus tôt. Le sport national du «Hollande bashing» ne faisait plus recette.

Quelles sont, dans cette transformation, la part de la réaction du chef de l’exécutif aux drames des 7 aux 9 janvier 2015, et celle d’un changement antérieur de politique de communication, que ces tragédies auront mis au jour aux yeux de tous?

En octobre 2013, Denis Pingaud titre son livre sur François Hollande L’Homme sans com’. À l’accumulation de couacs, de divisions à ciel ouvert et d’indices d’amateurisme au sein de son gouvernement se sont ajoutés une série retentissante de déboires, perçus comme autant d’ «affaires», de nature différente mais au réel pouvoir déflagrateur : affaire Jérôme Cahuzac, affaire Aquillino Morelle, affaire Leonarda… La vie privée de ce président, pourtant infiniment plus pudique que son prédécesseur, envahit l’espace public, du fameux «tweet» de Valérie Trierweiller jusqu’à son brûlot assassin, en passant par la révélation de la liaison cachée avec Julie Gayet. Dans ce chaos, Hollande lui-même déploie une communication verbeuse, illisible, pleine d’à peu-près : premier été manqué à s’exposer sur les plages ; interviews télévisées où il se montre imprécis et annonce des politiques dures avec des expressions molles ; sous-traitance initiale à Ayrault du tournant de la compétitivité ; abus des « chocs » qui n’en sont pas (de confiance, de compétitivité, de simplification…) ; registre technocratique de ministre du Budget ou du Travail ; enfermement dans l’intenable pari de « retourner la courbe du chômage ». Face à l’accumulation de prestations qui n’impriment pas, on songe à la formule de Jacques Pilhan : « Parler quand on est impopulaire, c’est comme marcher dans les sables mouvants. Plus on s’agite, plus on s’enfonce ».

Le tournant du printemps 2014
Avec le changement d’attelage au sein de l’exécutif (remplacement d’Ayrault par Valls) et, un mois plus tard, l’arrivée à l’Élysée d’un nouveau responsable de la communication, Gaspar Ganzer, 35 ans, un lent et discret travail est entrepris. Nombre d’observateurs, qui jugent le cas désespéré, ne mesurent pas tout de suite ce qui se passe.

À l’automne 2014, un «nouveau Hollande» commence à percer, sans tambours ni trompettes. Quand il participe sur TF1 à «En direct avec les Français», le 6 novembre, les journalistes retiennent surtout qu’il a esquivé les questions sur sa vie privée – «Je vous parle de vous et vous me parlez de la France», lui reproche le premier intervieweur! – et qu’il n’a pas fait d’annonces tonitruantes. L’important était pourtant ailleurs : dans son échange avec quatre Français, déçus, découragés ou en colère, tant il est vrai qu’aujourd’hui, pour regagner le droit d’être écouté, il faut d’abord montrer que l’on sait entendre. Ce qu’il fait devant près de 8 millions de téléspectateurs, alors que les Français ne voulaient, disait-on, plus le voir en peinture. L’exercice est repris, plus tard, sur des radios. L’obsession de renouer le fil prend d’autres formes: Hollande multiplie les longues incursions, parfois impromptues, hors du Palais (écoles, usines, etc.), sans se faire suivre par une nuée de caméras. Et, avec sa nouvelle équipe de communication, Internet et les réseaux sociaux passent du rang d’insaisissable poil à gratter à celui d’outils d’analyse et d’action.

C’est dans ce nouveau cadre que surviennent les attentats de janvier. D’emblée, Hollande campe la double posture du commandant opérationnel et du leader symbolique. Commandant opérationnel : le PC suprême est à l’Élysée, où les ministres concernés entourent le président. Dans la logique de la Vème République, ce rôle relevait pourtant du Premier ministre, d’autant que la personnalité, la compétence, le physique, de Manuel Valls l’auraient justifié. Leader symbolique aussi qui, par ses gestes et ses mots, exprime et rassemble la nation.

Se mettant au centre du jeu, il prend de sérieux risques, que le succès final occultera. Quand il se rend sur le site du massacre de Charlie Hebdo, au grand dam des services de sécurité (qui peuvent craindre, par exemple, une explosion sur les lieux du premier carnage), il fait montre de compassion, mais presque aussi d’irresponsabilité. De même, quand il décide qu’il se rendra au défilé de protestation, puis y invite ses homologues étrangers. Sa référence est sans doute Mitterrand, présent le 14 mai 1990 au défilé monstre après la profanation du cimetière juif de Carpentras. Or si, au lieu du bel ordonnancement de dirigeants défilant derrière les proches des victimes, nous avions assisté en direct à l’attentat qui faisait le cauchemar des forces de l’ordre (et qu’aucune mesure préventive ne peut exclure totalement), c’est contre la légèreté du même François Hollande que se seraient retournées les accusations.

Le commandant en chef multiplie les espaces de ses interventions: devant les préfets, dans la «war-room» de la place Beauvau, ou bien à la Préfecture de police. Le leader symbolique choisit aussi les siens avec justesse: siège de Charlie, hôpital où sont soignés les blessés, place de la République, grande synagogue… Il trouve les mots dans deux allocutions courtes et vigoureuses («la France est attaquée en son cœur», «ce sont nos héros», «se lever ce dimanche, ensemble»), rédigées dans l’urgence et prononcées en vrai direct. Il mobilise le pays et contribue à faire de Paris « la capitale du monde ».

Certains découvrent que cet homme qu’ils avaient déjà enterré réussit un sans-faute. En ce 11 janvier, ils auraient dû songer que, deux ans plus tôt jour pour jour, ce président que l’on disait incapable de prendre une décision rapide avait, à la surprise générale, annoncé en quelques phrases sobres l’intervention française au Mali. Le président élu était, ce jour-là, devenu chef de l’État. Seuls ceux qui avaient oublié ce moment ont été surpris que, en ces heures d’effroi et d’indignation, il ait su trouver et les gestes et les mots.

La flambée sondagière qui salue ensuite son attitude – comme celles du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur – ne sera sans doute pas durable. Les remontées dans les sympathies de l’opinion, du fait d’un accident, d’un drame collectif, d’un moment de cohésion nationale, n’ont jamais assis des popularités durables, ou empêché de rapides rechutes: ni celles qui suivent l’annonces des maladies (de Barre, Mitterrand, Chirac…) ou des attentats (comme celui dont Reagan fut victime), ni celles qui accompagnent les débuts de conflit (guerre du Golfe, Mali…).

Que la popularité présidentielle régresse après les montées spectaculaires de fin janvier ne saurait donc étonner, d’autant que les Français ne voient pas de résultats sur ce qui est l’essentiel à leurs yeux, l’emploi, le pouvoir d’achat. Tant que ceux-ci tarderont, on reprochera à Hollande son absence de réussite – il en est si conscient qu’il répète qu’une éventuelle nouvelle candidature suppose le redressement préalable du pays.

Mais il serait erroné de se focaliser sur le seul et pauvre indice des pourcentages de popularité. L’épisode des 7 au 11 janvier a balayé l’image politique antérieure de François Hollande. Sauf à ce qu’il retombe dans ses errements communicationnels anciens, c’est la nature qualitative de cette image, et de sa relation avec le pays, qui a été profondément transformée. L’homme qui avait perdu la considération de ses concitoyens s’est montré un leader en qui ils pouvaient se reconnaître. Le dirigeant jugé mou et falot s’est révélé en chef d’État déterminé. Le président qui suscitait la commisération a retrouvé, entouré de ses homologues, une place sur la scène mondiale, au moment précis où les Français, que l’on croyait revenus de tout, et effrayés du reste, retrouvaient une certaine fierté nationale.