L'Europe de Nicolas Sarkozy edit

23 janvier 2006

Il y a trois constantes de l'attitude de Nicolas Sarkozy face à l'Europe : instrumentalisation des questions européennes au profit de l'affichage médiatique, faiblesse de l'engagement européen, accord avec la vision britannique d'une Europe réduite à un grand marché voué au libéralisme économique.

Quelques mots pour commencer sur son bilan européen. Lors de son bref passage au ministère de l'Economie et des Finances, en 2004, Nicolas Sarkozy est resté très en retrait dans le domaine européen. On se souvient surtout de ses déclarations en faveur de la suppression des fonds structurels destinés aux Etats membres dont la taxation est inférieure à la moyenne européenne. Présentée sans consultations préalables, cette proposition avait suscitée une vague d'indignation dans les dix pays de l'élargissement. Non seulement cette initiative n'a eu aucune suite, mais elle a contribué à dégrader encore l'image de la France chez les nouveaux membres.

En tant que ministre de l'Intérieur, il est en partie responsable du suivi de la coopération dans le domaine de la sécurité et de la justice. Alors que les réseaux terroristes et le crime organisé sont aujourd'hui mondialisés, il ne fait aucun doute qu'une lutte efficace contre ces fléaux passe par une meilleure coopération européenne. C'est dans cet esprit qu'a été créé, par exemple, le mandat d'arrêt européen en juin 2002. Or, la nouvelle loi sur le terrorisme, présentée par Nicolas Sarkozy en octobre 2005, apporte une réponse presque exclusivement nationale. Elle ne se préoccupe que marginalement du bon fonctionnement des dispositifs de coopération européenne, notamment du mandat d'arrêt européen. La tribune que Nicolas Sarkozy a publiée avec Charles Clarke le 27 octobre 2005 dans Le Figaro sur la lutte contre le terrorisme en a apporté la triste confirmation. La coopération européenne n'est mentionnée qu'en passant.

Quelle est la pensée de Nicolas Sarkozy sur l'Europe ? Une fois identifié ce qui relève simplement de la stratégie politique, on peut reconstituer la cohérence de son discours.

Chacun se souvient de ses déclarations au cours de la campagne en vue du référendum sur le Traité constitutionnel sur le " modèle social français ". En confiance devant une assemblée de militants, il avait déclaré que le Traité constitutionnel permettrait d'en finir avec le modèle social français. Voter " oui " devait donc permettre de précipiter la transformation de la France vers un modèle revendiqué comme plus " libéral " plus " anglo-saxon ". Cette déclaration avait suscité des réactions gênées de l'Elysée - Jacques Chirac a fait campagne sur le thème " votez oui pour sauver le modèle français " - et avait été largement exploitée par les défenseurs du non de gauche. Cette déclaration n'avait en elle-même rien de particulièrement original. L'intégration européenne a été effectivement conçue dès l'origine, au moins chez une partie de ses promoteurs, comme un moyen de déléguer la gestion de réformes politiquement couteuses - libéralisation, ouverture à la concurrence, déréglementation - à des institutions tierces. Nicolas Sarkozy ne fait là que reprendre un discours libéral classique, et ce discours est parfaitement en cohérence avec son parcours politique et ce que l'on sait par ailleurs de son idéologie.

Mais le non l'a emporté, et les résultats du référendum ont révélé les craintes des Français devant la mondialisation et leur refus d'une Europe qui ne serait que les courroies de transmission des contraintes extérieures. Nicolas Sarkozy a pris conscience que le discours de la rupture avec le " modèle français " reste minoritaire en France. La convention thématique de l'UMP sur l'Europe, organisée fin septembre 2005, a été l'occasion pour Nicolas Sarkozy de " gauchir " significativement son discours sur l'Europe. Dorénavant, l'objectif de l'Europe doit être de " maîtriser la mondialisation " et " protéger " les peuples contre les " dérives qu'elle recèle ". Ces mots pourraient être ceux de Jacques Chirac, ou d'un dirigeant socialiste. Ils sont accompagnés d'un plaidoyer en faveur de la préférence communautaire, d'une politique industrielle, de la défense de l'environnement, etc. Le changement de cap semble majeur. Il est difficile, cependant, d'y voir autre chose qu'un revirement stratégique. Au même moment, la presse se faisait l'écho de l'inquiétude de Nicolas Sarkozy devant son image trop " libérale " et trop marquée par la volonté de " rupture ".

Et en forme de confirmation, on ne trouve plus trace dans le discours de présentation des vœux à la presse de ce thème de la protection contre la mondialisation. Que trouve-t-on à la place ? Tout d'abord, rien sur le contenu des politiques européennes. Nicolas Sarkozy ne propose aucune relance par les coopérations concrètes. Cette absence d'ambition pour l'Europe, alors même qu'il parle de " nouvel élan " ne peut être le fruit du hasard ou de l'oubli. Nicolas Sarkozy révèle une fois de plus la frilosité de son engagement européen.

Ensuite, on trouve l'appel à la rédaction d'un nouveau texte, " resserré " c'est-à-dire centré sur les questions institutionnelles, reprenant l'essentiel de la première partie du traité constitutionnel. L'idée d'un nouveau texte " resserré " n'a rien d'original : elle est soutenue par de nombreux responsables à droite comme à gauche. Ce qui est propre à Nicolas Sarkozy, c'est qu'il laisse tomber, dans sa proposition, la seconde partie du texte, celle concernant les droits fondamentaux. Or l'articulation entre la première la seconde partie du traité constitutionnel constitue l'un des éléments clefs de l'équilibre trouvé, notamment entre dimension sociale et logique économique. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la question de l'interprétation juridique des articles de la seconde partie a constitué pour les Britanniques un enjeu si important. Ils craignaient que cette " charte " permette, à terme, une extension des compétences de l'Union. Ainsi, abandonner la seconde partie du texte, comme semble le proposer Nicolas Sarkozy, serait une victoire pour la vision minimaliste d'une Europe largement vouée au libéralisme économique.

Il propose en outre que ce nouveau texte soit soumis au Parlement et non ratifié par référendum. On voudrait saper complètement la légitimité de l'intégration européenne, on ne s'y prendrait pas autrement. Ce qu'un référendum a fait, seul un référendum peut le défaire. Rester sur un non français serait une catastrophe pour l'intégration européenne, qui resterait durablement entachée du refus populaire. Nicolas Sarkozy ne peut ignorer cela. En faisant cette proposition, il propose d'entériner une Europe coupée de ses citoyens, et par conséquent peu capable d'agir.

Cette interprétation est confirmée par l'autre constante du discours européen de Nicolas Sarkozy : l'appel à l'élargissement du " moteur de l'Europe " aux quatre autres grands pays européens (l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni et la Pologne). Et c'est probablement ce qui est le plus contestable dans ce que propose le président de l'UMP. La formation d'un tel directoire des grands pays susciterait immédiatement l'opposition des petits pays, ce qui rendrait très problématique sa capacité à être un " moteur ". En second lieu, c'est un message très dangereux à envoyer à nos partenaires allemands, alors que le couple franco-allemand est en mutation. Laisser entendre que la France accorde moins d'importance à cette relation, comme le fait Nicolas Sarkozy, risque de précipiter notre partenariat dans une crise aux graves conséquences. L'Europe s'est construite autour de la relation franco-allemande. Il n'y a pas à l'heure actuelle d'alternative crédible.

Cela conduit à la troisième objection contre cette proposition. Inclure le Royaume-Uni dans le groupe moteur reviendrait, en gros, à accepter le loup dans la bergerie. On voit mal comment le Royaume-Uni, qui n'a pas adopté l'euro, pourrait appartenir au groupe " moteur " appelé notamment à réformer le fonctionnement de la zone euro. Et surtout, le Royaume-Uni, qu'il soit conduit par les conservateurs ou par les travaillistes, a suffisamment fait la preuve de son refus de voir l'intégration européenne progresser. L'Europe a, pour les Britanniques, vocation à être essentiellement un grand marché le plus ouvert possible sur le monde. Comme Nicolas Sarkozy ne peut l'ignorer, sa proposition d'un groupe moteur incluant le Royaume-Uni révèle en creux son accord avec cette vision britannique. Faire entrer le Royaume-Uni dans le " moteur " de l'Europe, c'est s'assurer que l'Europe fera pendant longtemps du sur-place.

Le seul désaccord de Nicolas Sarkozy avec les Britanniques porte sur la question des frontières de l'Europe. A l'inverse de ces derniers, il est favorable à l'interruption du processus d'élargissement. En cela, il se contente d'être le porte-parole de l'opinion publique française.