Il y a le feu dans la maison Europe edit

27 mars 2013

Le Front national a manqué de peu de remporter l’élection législative partielle de la deuxième circonscription de l’Oise. Avec 48,6% des suffrages exprimés au second tour contre 26,6% au premier tour, sa candidate a presque doublé ses voix face à un candidat UMP sortant, passant de 7249 à 13190. Il s’agit là d’un phénomène électoral inédit et de première importance, même si certains voudront se rassurer en constatant que l’abstention a été de près des deux tiers des inscrits et que la personnalité du député sortant était très controversée. Au même moment, le co-président du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, soutenant l’un de ses proches, François Delapierre, qui avait traité « les 17 de l’Eurogroupe » de « salopards », précisant qu’il incluait bien le ministre de l’Economie et des Finances français dans ce nombre, estimait qu’il fallait appeler « un chat un chat et un salopard un salopard ». Surtout il accusait Pierre Moscovici d’avoir « un comportement de quelqu'un qui ne pense plus en français, qui pense dans la langue de la finance internationale ». Un relent des années Trente a alors empuanti notre atmosphère politique.

Jean-Luc Mélenchon prend résolument la relève aujourd’hui, attaquant « l'infecte propagande du parti solférinien » et reprenant à son compte, mais en se plaçant sous l’ombrelle des saintes écritures, la détestation des staliniens de jadis pour la mollesse social-démocrate : « Dans la Bible, il est écrit que Dieu vomit les tièdes », rappelle-t-il ainsi. Madame Duflot tente de se rassurer en estimant qu’accuser Moscovici de ne « plus penser en français », mais « dans la langue de la finance internationale», ne suffit pas à taxer le leader du Parti de gauche d’antisémitisme. Pour elle, il ne fait que « flirter avec le dérapage à chaque instant, notamment sur les questions de nationalisme ». Elle devrait sans doute reconsidérer son interprétation. Quant au Parti communiste, c’est le moment pour lui de donner une preuve tangible de son rejet, maintes fois réaffirmé, de son passé stalinien.

Ainsi, tandis que la droite modérée doit faire face à une menace électorale croissante du Front national, le Parti de gauche tente d’entraîner l’ensemble du Front de gauche dans une stratégie de démolition de la social-démocratie française. Les deux fronts mettent ainsi en commun leur détestation de « l’Europe libérale ». La dérive mélenchoniste ne peut donc que renforcer le Front national comme en Allemagne, dans les années Trente, l’hystérie stalinienne contre les « sociaux-traîtres » contribua fortement à amener les nazis au pouvoir.  Les communistes français auraient grand tort de penser que les électeurs préfèreront le populisme de gauche au populisme de droite. Ils ne seront jamais assez xénophobes ni assez anti-européens face à l’autre Front.

Quant aux deux grands partis de gouvernement, il est temps qu’ils comprennent qu’à force de ne pas donner de réponse politique à la crise de l’Europe et d’abord de l’euro (mais c’est la même chose en réalité), les partis populistes, eux, se chargeront de donner leur propre réponse. Il faut cesser d’analyser la crise européenne seulement comme une crise économique et financière, même si cet aspect est fondamental. Les hommes et femmes politiques sont élu(e)s d’abord pour faire de la politique. Les élites politiques françaises pro-européennes ne sont d’ailleurs pas seules en cause. C’est l’ensemble des élites  politiques européennes favorables à l’intégration européenne qui, aujourd’hui, sont immobiles, voire pétrifiées, face à la marée populiste montante. Ainsi les sondages enregistrent dans la période récente une montée rapide ou une stabilité à un haut niveau des intentions de vote en faveur des partis populistes de droite dans de nombreux payas européens. C’est le cas en Autriche (27%), au Danemark (18%), en Grande-Bretagne (36%). En Finlande, ce courant  est passé de 4% à 19% aux dernières élections, en Hongrie de 2% à 17%, en Roumanie de zéro à 14%, en Italie de zéro à 26%. Sans revenir sur les élections grecques où le succès du populisme de gauche a obligé les deux grands partis de à nouer une alliance gouvernementale. Le seul cas contraire est celui des Pays-Bas où, face à la montée des populistes, les deux grands partis ont mené une campagne pro-européenne et décidé, après avoir gagné les élections et affaibli les populistes, de gouverner ensemble pour défendre l’appartenance de leur pays à l’Union européenne. Quant à l’Allemagne, pour la première fois vient d’y être créé un parti clairement anti-euro, l’Alternative pour l’Allemagne. Selon un sondage, près du quart des électeurs allemands seraient prêts à lui apporter leurs voix. La question européenne tend à s’imposer partout comme un enjeu national de première importance.

Ainsi, il y a le feu dans la maison Europe. Sans un sursaut politique au niveau européen, les partis de gouvernement seront amenés, chacun dans son pays, à tenir compte de la poussée populiste et à atténuer leur discours pro-européen. Un détricotage de la zone euro, puis de l’Union européenne elle-même, risque alors de s’opérer. Les gouvernements et institutions européennes ne peuvent plus se contenter de sauver ou de liquider des banques les unes après les autres et de coller des rustines, fussent-elles de grande taille. Le Conseil européen ne peut plus être essentiellement le lieu du marchandage entre intérêts nationaux. Si, comme l’écrit à juste titre sur Telos Charles Wyplosz, la survie de l’euro est de plus en plus menacée, c’est d’abord parce qu’il n’existe pas un véritable projet politique européen capable de mobiliser les nations européennes. C’est de cette absence que se nourrissent les populismes. C’est de cette absence que l’Europe, comme puissance politique, risque finalement de ne jamais voir le jour.