BCE : la complainte des gouvernements edit

9 janvier 2006

Jeudi prochain, la Banque centrale européenne (BCE) devrait annoncer qu'elle laisse ses taux d'intérêt inchangés. Après les avoir gardés constants depuis juin 2003, elle les a augmentés d'un quart de point en décembre dernier. Pourquoi les augmenter en décembre et pas en janvier ? Sa décision de décembre avait été saluée par une volée de bois vert. De nombreux ministres, dont Jean-Claude Juncker, le ministre des Finances luxembourgeois qui exerce la fonction de président de l'Eurogroupe, avaient alors accusé la BCE de prendre le risque de faire avorter la reprise économique qui s'annonce timidement. Pourquoi tant de malentendus ?

Commençons par la BCE. A-t-elle vraiment perdu le nord ? J'admire les gens qui ont des opinions tranchées sur ce sujet. Les taux d'intérêt de la zone euro sont à un niveau historiquement bas, pratiquement au niveau de l'inflation. Cela signifie que le coût du crédit, une fois déduit l'érosion monétaire, est voisin de zéro. Autrement dit, la politique menée par la BCE est expansionniste, sans discontinuité depuis deux ans et demi. Cela ne peut pas durer éternellement : un jour ou l'autre, les taux remonteront. Toute la question est quand. Comme l'effet de la politique monétaire sur l'activité économique et l'inflation est lent, de 18 à 24 mois, la remontée des taux doit démarrer bien en amont. C'est ce que sera la conjoncture en 2007 qui devrait décider du bon moment. La BCE a jugé, en accord avec de nombreux instituts de prévision publics et privés, que la reprise se solidifie et donc que 2007 sera une bonne année en terme de croissance, et donc de risque de reprise de l'inflation. Elle peut avoir tort, elle peut avoir raison, mais nous ne pouvons pas nous permettre des jugements tranchés.

Alors pourquoi cette levée de boucliers de la part des gouvernements ? Ils savent bien qu'ils n'en savent pas plus que la BCE : ils doivent donc avoir quelques bonnes raisons d'attaquer leur banque centrale. Aucune d'entre elles n'est, hélas, bien glorieuse.

La première tombe sous le sens. Si, comme c'est le cas depuis quatre ans, la reprise annoncée n'a pas lieu, le coupable est tout trouvé. D'avance les gouvernements se dégagent de toute responsabilité en matière de croissance et de chômage. Encore une fois, c'est l'Europe qui joue le rôle de bouc émissaire.

La seconde est légèrement plus subtile. Les grands pays de la zone euro (France, Allemagne, Italie) ont un gros problème de déficit budgétaire. Le Pacte de Stabilité a déjà été suspendu à la fin de 2003 pour la France et l'Allemagne, qui ont promis de revenir dans les clous en 2006. Pour cela, ils doivent resserrer la politique budgétaire, ce qui a un effet contractionniste. Si cet effet affaiblit la croissance, ce ne sera pas de leur faute mais celle de la BCE qui aura remonté les taux.

La troisième est franchement cynique. Tous les pays de la zone euro ne souffrent pas de croissance molle et de chômage élevé. Depuis au moins dix ans, le problème est concentré dans les mêmes trois grands pays. Ce sont ces pays qui n'ont pas conduit, ou si peu, les réformes qui peuvent redynamiser leurs économies et créer les emplois qui manquent cruellement. Si la croissance reste molle faute de réformes, le bouc émissaire est déjà tout trouvé. Autrement dit, les ministres qui attaquent à la BCE avouent qu'ils n'ont pas l'intention de faire des réformes sérieuses.

La quatrième pourrait être que les gouvernements ont vraiment un désaccord fondamental avec la BCE. N'est-elle pas obsédée par le risque d'inflation alors que les citoyens de la zone euro souffrent de chômage élevé ? Certes, le Traité de Maastricht charge explicitement la BCE d'assurer avant toute chose la stabilité des prix, mais il y a l'art et la manière. La BCE ne serait-elle pas trop indépendante et insuffisamment soumise à un contrôle démocratique ? Peut-être, mais à qui la faute ? Aux gouvernements qui ont signé le Traité de Maastricht. Aux gouvernements qui n'ont jamais suggéré de changer quoi que ce soit au traité lors des négociations de la Constitution aujourd'hui mort-née.

A moins que les gouvernements n'estiment que la définition de la stabilité des prix retenue par la BCE - une inflation de moins de 2% - est trop restrictive. Peut-être ont-ils raison, encore faut-il le dire. Cette définition n'est pas dans le traité, c'est la BCE qui se l'est appropriée. Rien n'empêche M. Juncker et ses collègues de proposer publiquement leur propre définition. La pression sur la BCE serait irrésistible, car les ministres sont, eux, des élus. Leur silence est assourdissant.

Puisqu'ils n'ont jamais remis en cause ni ces aspects du traité, ni la définition de la stabilité des prix, il se peut que les gouvernements considèrent l'approche de la BCE comme rigoriste. Autrement dit, ils considèrent que les seize membres du Conseil des Gouverneurs ne sont que des technocrates. Mais qui les a nommés ? Les gouvernements ! Où sont ils allé les chercher ? Dans les banques centrales et les ministères des Finances. Ces gens ont été choisis un par un par les gouvernements pour agir exactement comme ils le font.

Soumise à la pression des gouvernements, la BCE va marquer une pause ce mois-ci. Et peut-être le mois prochain. Nul ne sait si c'est bien ou si c'est mal. Ce n'est d'ailleurs pas vital. Un quart de point ne fait pas l'hiver. Elle remontera les taux en 2006 si, par bonheur, la reprise se confirme. Les derniers à avoir le droit de la critiquer sont donc les gouvernements.