BCE: les dessous d’un choix edit

10 septembre 2012

Lors de sa réunion du 6 septembre, la BCE a annoncé un programme de soutien inattaquable par les marchés  : elle promet des achats illimités de dette si un pays voit ses taux s’envoler. La baisse des taux qui a suivi ces annonces a été spectaculaire. Il y a dans ces nouvelles mesures une certaine ressemblance avec les politiques monétaires des banques centrales américaine et anglaise, qui rachètent depuis longtemps la dette publique de leur pays dans le but de faire baisser les taux, et avec succès. Mais est-ce que la BCE espère piloter les réformes économiques de la zone euro ; ou simplement assurer la stabilité de la zone euro?

Le programme de la BCE peut être schématisé comme suit. Dès qu’un pays fait face à des taux qui risquent de rendre sa dette insoutenable, elle offre de se poser comme acheteur en dernier ressort, pour faire baisser les taux, pourvu que le pays se conforme à un ensemble de mesures de politique économique, défini par elle, les autres gouvernements de la zone euro et le FMI.


L’idée est de ne pas donner prise aux critiques qui y verraient une monétisation d’une dette qui ne serait pas soutenable, et de fournir un puissant mécanisme d’incitation aux réformes. La BCE affirme qu’elle cessera tout soutien si le pays ne se conforme pas à ses engagements de politique économique. Dans ce sens, la BCE a donc un pouvoir quasi souverain sur la marche de la politique économique d’un pays, puisqu’elle définit les bonnes politiques à mettre en œuvre. Ce que ni la Fed, ni la Banque d’Angleterre n’ont osé faire.

Pourtant, la BCE n’a pas de pouvoir coercitif dès qu’elle accepte de soutenir un pays. En apparence, son soutien est strictement conditionnel .Mais que fera-t-elle réellement si le pays, sous programme, et alors qu’elle a acheté la dette, sans limites, ne respecte plus les conditionnalités ? En théorie, elle peut suspendre son aide. Mais à la minute où la presse titrera « La BCE ne soutient plus l’Espagne qui ne satisfait pas à ses engagements », les taux du pays en question s’envoleront, ce pays ne pourra plus se financer sur les marchés, posant la question du défaut et de ses effets systémiques sur les banques de la zone euro et de contagion sur des pays fragiles qui pourraient subir le même sort, comme l’Italie. Le fait que ces pays soient systémiques pour la zone euro, et que le président de la BCE a dit qu’il ferait tout pour sauver la zone euro, enlève à la BCE tout réel pouvoir de rétorsion sur un pays qui ne respecterait pas ses engagements. Le pouvoir de la BCE n’est donc pas coercitif puisque la menace d’abandon n’est pas crédible.

Si le véritable pouvoir de la BCE sur la politique économique des pays ne peut être coercitif, il peut viser deux types d’équilibre. Un équilibre instable, dans lequel les conditions mises à son soutien sont telles que le pays n’a pas intérêt à demander de l’aide, et la BCE reste « crédible » en n’intervenant pas. Un équilibre stable, dans lequel les conditions sont plus douces et la BCE intervient rapidement, en achetant de la dette publique.

Dans le premier équilibre, comme la BCE sait qu’elle n’aura pas les moyens de mettre à exécution sa menace d’arrêter les achats de dette, elle cherche à éviter qu’un pays demande son soutien. Il s’agit pour elle de définir un ensemble de conditions économiques très dures qui réduirait les incitations à lui demander d’exercer son programme d’achat de dette. La BCE laisse ainsi planer la menace de mise en œuvre d’un programme type FMI dont on a pu observer la dureté sur les petits pays de la périphérie. Si l’Irlande se remet aujourd’hui doucement, grâce à sa puissante capacité exportatrice, le Portugal est en récession quasiment depuis 2008 et ses perspectives de croissance et de restauration de ses finances publiques sont faibles et lointaines. Sans compter la perte de souveraineté qui est associée à ces programmes. Dans ce cadre, l’Espagne, avec la perspective d’élections régionales fin octobre et arguant qu’elle a mis en place les bonnes reformes, elle n’a que peu de motifs de demander l’aide de la BCE tant qu’elle arrive à se financer.

Dans le second équilibre, la BCE cherche au contraire à ce qu’un pays lui demande son soutien. La Banque, consciente de son absence de pouvoir de coercition, ne cherche pas à l’exercer. Elle vise en réalité à empêcher toute spéculation sur la dette d’un État membre de la zone euro et la viabilité de l’euro lui-même. Dans cette hypothèse, la BCE doit baisser le coût d’entrée dans un programme en proposant des conditions très douces. Par exemple, dans le cas de l’Espagne, les conditions demandées ne seraient que celles de la mise en œuvre des réformes en cours, sans austérité supplémentaire. Dès lors, il n’y a comme coût pour l’Espagne à demander du soutien que le coût politique ; il serait de l’intérêt de l’Espagne de demander de l’aide rapidement et se mettre sous la protection de la BCE.

Dans ces conditions, la question est de savoir si le premier équilibre est soutenable dans le temps. Ce n’est le cas que si l’on juge que l’Espagne a effectivement une situation de finances publiques claires, qu’elle est engagée dans une démarche de réformes économiques profondes et peut retrouver un sentier de croissance rapidement. Or les nouvelles répétées de dérapage financier des régions espagnoles, dont les dépenses comptent pour 40% des dépenses publiques totales, suggèrent qu’un audit extérieur des finances publiques de l’Espagne apporterait au moins une transparence qui n’est pas là aujourd’hui et pourrait mettre à jour une situation plus délicate encore. Les marchés ont du mal à apprécier la qualité des réformes structurelles, d’autant que leurs effets ne sont visibles que lentement dans le temps. Les perspectives de croissance sont durablement affaiblies en Espagne : ajustement budgétaire et désendettement du secteur bancaire vont peser encore de nombreux mois sur la dynamique économique du pays. Le premier équilibre paraît donc difficilement soutenable.

Il est donc plus vraisemblable que la BCE a accepté de protéger l’euro sans véritablement exercer de pouvoir de contrôle. Dès lors il est de l’intérêt de l’Espagne d’accepter un compromis sur le programme à négocier, non seulement pour bénéficier du soutien, finalement faiblement coûteux, de la BCE, mais aussi dans l’intérêt de la stabilité de la zone euro.