Emploi : la solution passe par le CUP (contrat unique progressif) edit

3 janvier 2006

La France souffre bien d'une fracture sociale : entre ceux qui ont la sécurité de l'emploi et les autres. Les premiers ont des CDI, la sécurité du revenu, la quasi certitude de l'emploi, la retraite assurée. Les autres, qui sont souvent les jeunes, n'ont rien de cela. Dans le meilleur des cas, ils alternent CDD et chômage, ont du mal à en vivre et ne peuvent emprunter pour se loger. S'ils sont optimistes, ils s'accrochent à l'espoir d'un travail permanent. S'ils le sont moins, ils deviennent indifférents à leur environnement de travail, et se résignent à leur sort.

Quelle est la source du problème ? La cause immédiate n'est pas difficile à identifier. Elle vient du choix des entreprises entre CDD et CDI. Offrir des CDD, dans les limites autorisées par la loi, leur donne plus de flexibilité. Mais, vu le coût de transformation d'un CDD en CDI, elles préfèrent se séparer du CDD en fin de contrat plutôt que de le garder et le promouvoir en CDI. Et, comme elles n'ont, en général, pas l'intention de garder leur CDD, elles ont peu de raisons de vouloir les former ; en termes plus explicites, elles offrent souvent des boulots peu gratifiants.

Le fossé que cela crée entre jeunes et vieux est moralement inacceptable. Et ce sont ces générations de jeunes désabusés et amers, sans formation, sceptiques quant aux politiques et à la politique, qui seront les citoyens de demain. Pourtant, face à cette réalité, les partis politiques semblent souffrir d'autisme.

L'opposition propose d'éliminer les CDD. Mais c'est ignorer que ceux-ci ont été créés parce que les entreprises avaient désespérément besoin d'une soupape de sécurité. Un simple retour aux CDI les amènerait à diminuer encore plus les emplois, à prendre encore moins de risques qu'elles n'en prennent aujourd'hui. Depuis le milieu des années 1990, la croissance de la productivité en France est anémique. Personne ne peut affirmer avec certitude quelle en est la cause. Mais ce que l'on sait, c'est qu'en général la moitié des gains de productivité résulte du remplacement d'entreprises inefficaces par des entreprises plus efficaces. Généraliser les CDI reviendrait à diminuer les emplois, et à ralentir la croissance. La fracture sociale disparaîtra, mais au prix d'un nivellement par le bas.

Le gouvernement avance prudemment, tâtant l'eau au fur et à mesure qu'il avance. Comme beaucoup de ces prédécesseurs, il a introduit un nouveau type de contrats à durée limitée, dans ce cas le CNE. Comme les contrats précédents, ce contrat donne un peu plus de flexibilité aux entreprises. Mais il ne résout pas fondamentalement le problème : la plupart de ceux qui sont engagés sous CNE risquent aussi de se trouver au chômage dans les années qui viennent, laissant leur place à d'autres CNE.

Que faire ? La réponse logique s'impose d'elle-même. Il faut retourner à un contrat unique, mais un contrat unique progressif, un contrat qui donne aux travailleurs plus de protection au fur et à mesure qu'ils restent dans l'entreprise. Le mot essentiel est "progressif". Ce qu'il faut éviter, et ce qui empoisonne le système actuel, c'est l'effet de seuil, qui se produit à la fin des CDD. Dans un contrat progressif, les droits de l'employé augmentent lentement au cours du temps ; il n'y a pas de jour fatidique où l'on bascule d'un type de contrat à un autre.

Du principe à la pratique, il y a bien sûr plus qu'un pas. Un tel changement implique de définir clairement quels sont ces droits à la protection de l'emploi, et à quel rythme l'employé les acquiert au cours du temps. Ceci implique donc une réforme profonde de la protection. On peut en imaginer les lignes directrices.

Les indemnités de licenciement, dans la loi et dans la grande majorité des conventions collectives, sont faibles ; la procédure administrative et judiciaire, au contraire, est souvent lourde. On peut donc imaginer une augmentation substantielle des indemnités en échange de simplifications de ces deux procédures. La France est le seul pays développé où les juges ont le droit d'évaluer si la décision de l'entreprise était économiquement correcte alors qu'ils n'en n'ont pas la compétence : ceci est une aberration, coûteuse pour les entreprises, et pour leurs salariés. Ou encore, pour prendre un autre exemple, il n'est pas évident que l'entreprise soit mieux placée que des services spécialisés pour reclasser ses employés en surnombre. On peut imaginer de transférer l'essentiel du contenu des plans sociaux à l'ANPE ou des entreprises spécialisées dans le reclassement. En bref, on peut imaginer de faire payer plus aux entreprises, et, en échange, de les laisser prendre leurs décisions plus librement.

De telles propositions sont souvent perçues comme une "atteinte fondamentale au droit du travail". Cela est une aimable plaisanterie. Le droit du travail a considérablement évolué depuis 30 ans, et évolue tous les jours. Vouloir le figer à jamais est une aberration. De surcroît, la sanctification du droit du travail paraît dérisoire au regard du coût engendré par le statu quo. Il est grand temps que les politiques regardent les problèmes en face, et que le vrai débat commence.