Marché du travail : réformer vite, fort et … bien edit

1 juin 2017

La réforme du marché du travail est lancée. Avant même les élections législatives, les partenaires sociaux ont été consultés par le nouvel exécutif, successivement le Président, le Premier ministre et la ministre du Travail. Le message est clair : les réformes du marché du travail seront élaborées, décidées et mises en œuvre dans des délais très rapides. On parlait de juillet, maintenant de la fin de l’été ou de l’automne, ce qui parait plus réaliste. Peu importe, en un certain sens, le principal étant que ces réformes soient engagées au plus vite. Les précédents français et étrangers de réformes du marché du travail indiquent que les effets favorables de ces dernières sont parfois assez longs à se concrétiser, quelques années dans de nombreux cas. Pour certaines, les effets peuvent même être défavorables à court terme : simplifier et sécuriser juridiquement les procédures de licenciement peut dans un premier temps contribuer à augmenter le chômage, les effets favorables sur les embauches, en particulier des PME, se manifestant plus progressivement que le surcroit transitoire des licenciements. Aucun dirigeant ne souhaite connaitre le sort du chancelier Gerhard Schroeder, qui a étendu sur son dernier mandat de fortes réformes du marché du travail allemand, sans tirer, bien au contraire, tout le bénéfice électoral des effets favorables de ces réformes qui lui ont sans doute coûté sa réélection en 2005. Son successeur, Angela Merkel, a pleinement bénéficié de ces réformes qui ont contribué à ramener l’Allemagne au plein emploi, et sur lesquelles elle s’est bien gardée de revenir, après pourtant que son parti les eut critiquées dans le débat électoral. La politique est souvent ingrate.

Le Président Macron veut réformer vite et profondément. Il a raison, bien évidemment, et il est légitime pour le faire. Il a déjà été successivement le candidat recueillant le plus de suffrage au premier tour puis celui qui l’a emporté le second tour des présidentielles sur la base de ce programme de réformes. Et il est en passe d’obtenir prochainement au parlement une majorité relative forte, sinon même une majorité absolue, sur la base de ce même programme de réformes. Bien sûr, le risque d’une mobilisation contre ces réformes ne peut être écarté. Mais une telle mobilisation souffrirait d’un défaut démocratique évident, s’opposant à un programme de réformes ayant obtenu l’onction électorale lors de ces deux rendez-vous républicains majeurs que constituent les présidentielles et les législatives. Une telle hâte n’a rien d’un quelconque empressement : L’orientation générale des réformes évoquées n’est pas une surprise. De nombreux rapports les ont préconisées, au terme d’analyses approfondies du fonctionnement du marché du travail. Les expertises préalables sont donc déjà disponibles.

Pour autant, la consultation/concertation avec les partenaires sociaux est indispensable. Par principe démocratique, par besoin et par nécessité. Par principe démocratique tout d’abord, car ils sont les représentants légitimes des entreprises et des salariés. Et cette légitimité repose sur des processus comme par exemple les élections professionnelles, auxquelles les taux de participation sont élevés (environ les deux tiers des inscrits dans les entreprises de plus de 50 salariés). Par besoin ensuite, car les partenaires sociaux seront les premiers acteurs des transformations induites par ces réformes. ‘L’inversion de la hiérarchie des normes’[1], par exemple, signifie que les conventions de branches et d’entreprise auront la primauté par rapport aux normes légales, dans les limites des principes et du droit supranational. Pour que cette réforme se traduise ensuite dans les faits par un renforcement de la négociation collective, il faut que les acteurs de cette négociation soient impliqués dans sa conception même. Par nécessité enfin, car la loi prévoit une telle concertation par l’article L1 du code du travail, issu de la loi Larcher du 31 janvier 2007 (voir encadré). Remarquons cependant que cette obligation est légale mais non constitutionnelle : un projet de loi ne pourrait être censuré par le conseil constitutionnel à ce titre.

L’article L1 du code du travail[2] impose à l’exécutif une concertation avec les partenaires sociaux sur les réformes envisagées concernant le marché du travail. Avec une éventuelle négociation dans des délais indiqués par les partenaires sociaux. Mais, en cas d’urgence motivée par le Gouvernement, ce dernier peut éviter la concertation préalable. L’exécutif actuel veut sortir du schéma de concertation retenu lors du précédent quinquennat. Les partenaires sociaux y étaient saisis par l’exécutif sur certains thèmes, dans le cadre d’une grande conférence sociale, souvent très médiatisée. Ils engageaient ensuite des négociations qui pouvaient aboutir à un accord national interprofessionnel (ANI) dont les dispositions pouvaient être ensuite transposées dans le code du travail. Cette méthode a montré ses limites. Mis à part l’ANI du 11 janvier dont les dispositions ont été transcrites dans le code du travail par la loi du 14 juin de la même année, les ANI suivants se sont caractérisés par une ambition de réforme très timide. Ainsi, les avancées proposées par l’ANI du 14 décembre 2013, sur la formation professionnelle, qui a inspiré la loi du 5 mars 2014, se sont montrées à ce point faibles qu’une véritable réforme est en ce domaine préconisée par tous les spécialistes et envisagée par l’exécutif actuel. La négociation interprofessionnelle sur le dialogue social s’est soldée par un échec et l’impossibilité d’aboutir à un accord début 2015, et la loi Rebsamen du 17 aout 2015 a introduit en ce domaine des simplifications concernant les institutions représentatives du personnel (IRP) sans s’appuyer sur un ANI.

Les raisons de cette incapacité de la négociation interprofessionnelle à aboutir à des propositions ambitieuses sont assez évidentes. Dans de nombreux domaines, les partenaires sociaux ont une position très impliquée, institutionnellement voire financièrement. Il n’est pas approprié de demander aux partenaires sociaux de proposer des réformes privilégiant les seules efficacités protectrices et économiques aux dépens éventuels de certains avantages institutionnels. Ainsi, la formation professionnelle contribue par différents canaux au financement des partenaires sociaux : comment demander à ces derniers de proposer une réforme qui remettrait en cause ce rôle sans avoir précédemment totalement sécurisé et assaini leur financement ? Ainsi, de nombreux salariés syndiqués sont délégués du personnel (DP), ou membres des comités d’entreprise (CE), des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) : comment demander aux partenaires sociaux de proposer une réforme qui simplifierait cette architecture des institutions représentatives du personnel (IRP) ? Ainsi enfin, de nombreux représentants syndicaux ou patronaux sont juges prud’homaux : comment demander aux partenaires sociaux de proposer une réforme de l’institution prud’homale, avec par exemple entre autres voies un échevinage généralisé, qui donnerait à leurs mandants le sentiment d’un désaveu ? La situation actuelle d’un nombre pair de juges, qui peut aboutir à des compromis boiteux, est du reste critiquable au regard de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. 

Ces difficultés expliquent pourquoi nous avons, dans notre dernier ouvrage, proposé que l’exécutif consulte les partenaires sociaux en amont de toute réforme en prenant ensuite seul la responsabilité de cette dernière, dans sa conception et sa validation par le parlement. Telle est la voie choisie par l’exécutif actuel, et cela nous parait le seul choix possible pour réformer fort et bien.

Qu’en est-il d’aller vite ? Est-ce possible ? L’Exécutif envisage de procéder par ordonnances. Cette option permet de raccourcir les délais d’examen parlementaire, mais nécessite cependant le vote d’une loi d’habilitation avant de pouvoir promulguer des ordonnances puis une loi de ratification pour transposer ces dernières dans le code du travail. Mais le principal délai est antérieur à cette dernière étape. De nombreux domaines à réformer sont lourds et complexes. La conception même des réformes appropriées demandera un certain temps. Donnons trois exemples. Premier exemple, ‘l’inversion de la hiérarchie des normes’ nécessite une réécriture du code du travail caractérisant nettement ce qui y ressort des principes et du droit supranational. Une telle réécriture demande un peu de temps. Second exemple, la formation professionnelle mobilise chaque année entre 30 et 35 milliards d’€ via des tuyauteries financières et institutionnelles dont l’architecture et les lieux de décisions sont d’une très grande complexité. Certains s’imaginent à tort que la réforme des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) suffirait. Outre que cette seule réforme des OPCA serait déjà très complexe, ces structures ne gèrent ‘que’ moins d’un tiers des ressources de la formation professionnelle dont la réforme doit être plus large et profonde. En ce domaine également, au-delà d’orientations générales, la réforme prendra un peu de temps à être conçue. Troisième exemple, la réforme de l’assurance chômage qui, entre autres changements, passerait d’une logique assurantielle avec un financement par cotisations à une logique de solidarité avec un financement par l’impôt et étendrait sous certaines conditions le bénéfice de l’indemnisation chômage aux indépendants et aux démissionnaires. L’ampleur des flux financiers en jeu (le budget annuel de l’UNEDIC est de 30 à 35 milliards d’€) et la complexité de l’élargissement envisagé mais aussi d’une meilleure cohérence à rechercher entre l’indemnisation du chômage et la formation professionnelle appellent un certain temps pour concevoir les détails d’une telle réforme.

Au-delà de ces « délais techniques », celui de la consultation/concertation des partenaires sociaux demandera aussi un certain temps. Le projet de réforme du marché du travail du Président et de l’exécutif est global, et concerne de multiples domaines : ‘l’inversion de la hiérarchie des normes’, la formation professionnelle, l’indemnisation du chômage, la simplification et le renforcement de l’efficacité des IRP, une plus grande sécurisation juridique de la justice prud’homale, le plafonnement impératif (et non seulement indicatif comme instauré par la loi El Khomri) des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’appréciation du périmètre de reclassement des salariés licenciés dans le cadre des plans sociaux d’entreprise (PSE), le financement des partenaires sociaux … Sauf à vouloir passer en force en prenant le risque d’un rejet qui abaisserait l’acceptation et donc l’efficacité de la réforme, des compromis seront indispensables. Mais les partenaires sociaux ne pourront définir leurs positions et oppositions que sur la base d’une vue d’ensemble de ce programme de réformes. Les ‘compromis’ sur certains chapitres de la réforme concrétiseront ainsi les reculs et avancées sur d’autres, sur lesquels les partenaires auront pu se positionner fortement dans le passé. Nous avons déjà proposé deux exemples de compromis possibles. Concernant le plafonnement impératif des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, il pourrait être décidé que les juges peuvent y déroger, à condition de motiver ce dépassement qui serait donc possible mais deviendrait sans doute rare[3]. Cela permettrait sans doute d’éviter le rejet par tous les syndicats de salariés. Concernant la réforme de l’assurance chômage, il pourrait être décidé d’associer un socle solidaire correspondant par exemple aux minimas sociaux actuels et un complément assurantiel. Cela conserverait la possibilité de transférer des points de cotisations sociales vers la CSG, comme le souhaite le Président, sans heurter trop fortement les partenaires sociaux attachés au paritarisme en ce domaine.

Au total, combien de temps faudra-t-il pour aboutir ? Plagiant le comique Fernand Reynaud parlant du temps nécessaire au refroidissement du canon, la bonne réponse est sans doute : « un certain temps ». Si les principales orientations de ces réformes étaient décidées et transposées dans notre droit du travail pour la fin de l’année, l’exploit serait à souligner : jamais un processus de réforme d’une telle ambition n’aurait été réalisé dans un délai si court, soit un semestre. Et la finalisation de certains volets de réformes pourra s’étendre davantage dans le temps que pour d’autres, à partir du moment où leur orientation sera clairement définie.

Les meilleures conditions sont réunies pour engager et réussir les réformes ambitieuses du marché du travail dont la France a besoin, pour dynamiser sa croissance et sortir de la situation de chômage massif qu’elle connait depuis quatre décennies. Le Président et le nouvel exécutif connaissent nécessité et cette urgence. Il en va du renforcement conjoint de l’efficacité économique et de la protection des travailleurs. Il s’agit donc de réformer vite, fort… et bien.  

 

 

[1]      Plus exactement la supplétivité de la norme légale par rapport à la norme conventionnelle, et de l’accord de branche par rapport à l’accord d’entreprise.

[2] L’article L1 du code du travail, issu de la loi Larcher du 31 janvier 2007, dispose que :

« Tout projet de réforme envisagé par la Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation.

« A cet effet, le Gouvernement leur communique un document d’orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options.

« Lorsqu’elles font connaitre leur intention d’engager une telle négociation, les organisations indiquent également au Gouvernement le délai qu’elles estiment nécessaire pour conduire la négociation.

« Le présent article n’est pas applicable en cas d’urgence. Lorsque le Gouvernement décide de mettre en œuvre un projet de réforme en l’absence de procédure de consultation, il fait connaitre cette décision aux organisations mentionnées au premier alinéa en la motivant dans un document qu’il transmet à ces organisations avant de prendre toute mesure nécessitée par l’urgence. »

[3]      Rappelons que nous évoquons ici de la réparation d’un préjudice lié à une faute de l’employeur qui a licencié le salarié sans cause réelle et sérieuse. L’option ici proposée permet de prendre en compte des situations spécifiques où le préjudice pourrait être élevé.